Shogun
avait déjà envoyé un
samouraï pour chercher ce moine, qui était peut-être tout aussi précieux aux
yeux d’Ishido qu’aux siens.
Toranaga connaissait l’existence de ce moine depuis
longtemps. Il savait qu’il était espagnol, hostile aux portugais. Mais l’homme
avait été mis en prison par le Taikô. Il était donc le prisonnier du Taikô, et
lui, Toranaga, n’avait aucun pouvoir de juridiction sur quiconque, à Osaka. Il
avait volontairement envoyé l’Anjin-san dans cette prison pour faire croire à
Ishido que l’étranger n’avait aucune valeur, mais dans l’espoir que ce géant de
pilote serait également capable de soutirer au moi ne toute
ses connaissances. La première tentative maladroite contre l’Anjin-san avait
échoué. Un écran protecteur s’était immédiatement formé autour de lui. Toranaga
avait récompensé l’espion à sa solde, Minikui, le porteur, en le faisant sortir
sain et sauf de prison, en lui donnant quatre autres porteurs et en lui
concédant le droit héréditaire d’exploiter une partie de la bande côtière entre
Osaka et Yedo – la grande route du Tokaidô – bande située entre la seconde et
la troisième borne de Yedo, sur ses terres. Il lui avait fait tout de suite
quitter Osaka en secret. Le jour suivant, ses autres espions l’avaient informé que
les deux hommes étaient devenus amis, que le moine parlait, que l’Anjin-san
posait des questions et écoutait les réponses attentivement. Qu’Ishido ait
également des espions dans cette prison ne le tracassait pas outre mesure.
L’Anjin-san était protégé et en sécurité. Ishido avait alors, sans qu’on s ’y attende, essayé de le faire disparaître, comme par
enchantement.
Toranaga se souvenait du plaisir qu’il avait éprouvé en
compagnie d’Hiro-matsu à monter l’« embuscade surprise » – les
bandits ronin n’étaient qu’une fraction infime de ses samouraïs d’élite,
dispersés tout autour d’Osaka – et à arranger le délicat moment où Yabu devait,
sans le savoir, voler au secours du convoi. Ils avaient bien ri, sachant qu’ils
s’étaient une fois de plus servis de Yabu comme d’une marionnette pour mettre
le nez d’Ishido dans ses propres déjections. Tout avait merveilleusement
marché. Jusqu’à aujourd’hui.
Aujourd’hui, le samouraï qu’il avait envoyé pour aller
chercher le moine était revenu les mains vides. « Le prêtre est mort,
avait-il dit. Quand on a prononcé son nom, il n’est pas sorti, Sire. Je suis
entré dans la cellule pour aller le chercher, mais il était mort. Les criminels
emprisonnés là m’ont dit qu’il s’était effondré quand les geôliers avaient
appelé son nom. Il était bien mort quand je l’ai retourné. Excusez-moi, vous
m’avez envoyé et j’ai échoué dans ma mission. Je ne savais pas si vous le
vouliez avec ou sans tête. J’ai donc apporté le corps intact. La plupart des
criminels qui l’entouraient m’ont dit qu’ils étaient ses brebis. Ils ont essayé
de garder le cadavre. J’ai dû en tuer quelques-uns pour pouvoir l’emmener. Il
pue, il est plein de vermine, mais il est dans la cour, Sire. »
Pourquoi le moine était-il mort ? se demanda Toranaga.
Puis il vit qu’Hiro-matsu le regardait d’un air interrogateur.
« Oui ?
— Je vous demandais simplement qui pouvait bien vouloir
la mort du pilote ?
— Les chrétiens. »
À l’aube, Kasigi Yabu suivit Hiro-matsu le long du
couloir. Il était heureux de voir sire Toranaga. Son attente était enfin
terminée. Il avait pris un bain, s’était habillé avec soin. Il avait écrit ses
dernières lettres à sa femme et à sa mère, avait cacheté son testament au cas
où la rencontre tournerait à son désavantage.
Hiro-matsu ouvrit, sans qu’il s’y attende, une porte bardée de fer qui menait à l’intérieur des fortifications.
Plusieurs gardes veillaient. Yabu sentit le danger.
À sa surprise, Toranaga était là et, chose incroyable, il s e leva pour le saluer avec une chaleur qu’il n’était pas en
droit d’attendre. Après tout, Toranaga était seigneur des Hui t Provinces.
Lui n’était que seigneur d’Izu. Des coussins avaient été soigneusement
disposés. Une théière dormait dans un étui de soie. Une jeune fille au visage
carré, pas très belle et richement habillée, saluait très bas. Elle s’appelait
Sazuko et était la septième concubine officielle de Toranaga. Elle était
enceinte.
« Qu’il est bon de vous
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