Shogun
l’empire !
D’après nos calculs, pensa Alvito , la valeur de ce trésor doit être environ de cinquante
millions de ducats. La plus importante fortune personnelle en espèces sonnantes
et trébuchantes.
Est-ce là la cible ? se demanda-t-il. Celui qui
contrôle la forteresse d’Osaka n’est-il pas détenteur de cette incroyable
richesse ? Cette fortune ne lui donne-t-elle pas, par contrecoup, pouvoir
sur le pays tout entier ? Osaka n’a-t-elle pas été rendue
imprenable uniquement pour protéger cette fortune ? Le pays n’a -t-il pas été saigné aux quatre veines pour la
construction de cette forteresse, pour qu’elle soit inviolable, qu’elle abrite
l’or jusqu’à ce que Yaemon soit en âge de gouverner ?
Tant que la fortune est intacte, qu’Osaka est intacte et que Yaemon reste le gardien de facto… se dit Alvito.
Yaemon gouvernera dès qu’il sera en âge de gouverner en dépit de Toranaga,
d’Ishido et des autres. Dommage que le Taikô soit mort.
Nous savions à qui nous avions affaire. Nous connaissions tous ses défauts.
Dommage surtout que Goroda ait été assassiné, car il était notre ami. Mais il
est mort, le Taïkô aussi, et nous avons à présent d’autres païens à qui faire courber l ’échine : Toranaga et Ishido.
Alvito se souvint de la nuit où le Taikô était mort . Il avait été invité par celui-ci à venir le veiller en
compagnie de Yodoko-sama, sa femme, et de la dame Ochiba, sa favorite, mère de
l’héritier. Ils avaient longtemps attendu dans les senteurs de cette nuit d’été sans fin. Puis l’agonie avait commencé.
« Son esprit est parti. Il est entre les mains du
Seigneur », avait-il dit doucement, une fois certain de sa mort. Il avait fait l e signe de la croix et avait béni le corps.
« Que Bouddha prenne mon seigneur sous sa protection et
qu’il l’aide à renaître vite afin de reprendre l’empire en main, encore une
fois », avait dit Yodoko , qui pleurait en silence.
C’était une femme merveilleuse, une samouraï patricienne, une femme fidèle et
un conseiller précieux. Elle avait fermé les yeux d u mort,
l’avait fait nettoyer. C’était son privilège. Elle avait fait trois fois la révérence puis l’avait laissé avec dame Ochiba.
Sa mort avait été douce. Il avait été malade pendant des
mois. Cette nuit-là, on attendait sa fin. Quelques heures
auparavant , il avait ouvert les yeux, avait souri à Yodoko et à Ochiba,
et avait murmuré : « Écoutez, voici mon poème mortuaire.
Comme la rosée, je suis né
Comme la rosée je m’évanouis
La forteresse d’Osaka et tout ce que j’ai bien pu faire
Ne sont qu’un rêve
Au sein d’un rêve.
Un dernier sourire du despote. Un sourire si tendre.
« Veillez tous sur mon fils. » Et ses yeux étaient devenus vitreux à
jamais.
Le père Alvito se souvint combien il avait été ému par ce
dernier poème, si caractéristique du Taikô. Il avait espéré, parce qu’il
n’avait été invité qu’au seuil de la mort, que le Seigneur de tout le Japon
céderait, accepterait de se convertir et de recevoir les derniers sacrements.
Mais rien n’avait eu lieu. « Vous avez perdu le royaume des cieux pour
toujours. Pauvre homme », avait-il marmonné tristement, car il avait
toujours admiré le Taikô en tant que stratège et homme politique.
« Que se passe-t-il si votre royaume s’arrête au fond
d’une impasse barbare ? lui avait dit dame Ochiba.
— Pardon ? » Il n’était pas certain d’avoir
bien entendu, révolté par sa malveillance venimeuse et inattendue.
Il connaissait dame Ochiba depuis douze ans, depuis le jour où le Taïkô
l’avait choisie comme concubine. Elle avait alors quinze ans. Elle avait
toujours été docile et serviable, ne disant jamais rien. Mais maintenant…
« J’ai dit : que se passe-t-il si votre royaume
des cieux s’arrêter au fond d’une impasse barbare ?
— Que Dieu vous pardonne ! Votre maître n’est mort
que depuis quelques instants…
— Le seigneur mon maître est mort. Morte avec lui votre
influence sur lui ! Neh ? Il vous voulait près de lui !
C’était son droit. À présent, il est dans le Grand Néant et il ne commande plus.
C’est moi qui commande, maintenant. Prêtre, vous puez, vous
avez toujours pué et votre odeur pollue notre air. Sortez de mon château et
laissez-nous à notre chagrin ! »
Il avait involontairement fait le signe de la croix devant
cette diablesse. Son rire
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