Shogun
longue. « C’est un péché maudit… qui va contre les lois de
l’homme et de Dieu.
— Ce sont certainement des mots chrétiens qui s’appliquent à d’autres choses, rétorqua-t-elle d’une voix
acide, en dépit d’elle-même, subjuguée par son incroyable grossièreté. Un
péché ? Où est le péché là-dedans ?
— Vous devriez le savoir. Vous êtes catholique ?
Vous avez été éduquée par les jésuites, n’est-ce pas ?
— Un saint homme m’a appris à parler latin et
portugais, à écrire. Je ne saisis pas le sens que vous donnez à catholique, mais je suis chrétienne et le suis depuis bientôt
dix ans. Non, ils ne nous ont jamais parlé de rencontres sur l’oreiller.
Comment quelque chose qui donne du plaisir peut-il être considéré comme un
péché ?
— Demandez au père Alvito. »
J’aimerais pouvoir le faire, pensa-t-elle, mais j’ai ordre
de ne rien dire à personne sauf à Kiri et à Sire Toranaga. J’ai demandé à Dieu
et à la Sainte Vierge de me venir en aide, mais ils ne m’ont pas répondu. La
seule chose que je sache c’est que, depuis ton arrivée, nous n’avons eu que des
ennuis… « Si c’est un péché comme vous le dites, pourquoi alors les
prêtres s’y adonnent-ils et s’y sont-ils toujours adonnés ? Les prêtres ne
sont pas des suppôts du diable, pas tous. Et certains prêtres, dit-on, ont
toujours goûté les plaisirs de ce genre de rencontre. Pourquoi devraient-ils
être privés d’un plaisir ordinaire si on leur interdit les femmes ?
Proclamer que tout ce qui concerne les rencontres sur l’oreiller n’est que
mensonge et péché ne veut rien dire.
— La sodomie est une abomination, contre toute
loi ! Demandez à votre confesseur ! »
C’est toi l’abomination, toi, capitaine-pilote, avait envie
d e crier Mariko. Comment oses-tu être si grossier et si
bête ! Contre Dieu, dis-tu ? Quelle absurdité ! Contre ton
diable de Dieu, peut-être. Tu dis que tu es chrétien, mais tu ne l’es
visiblement pas. Tu n’es qu’un menteur et un traître. T u connais
peut-être des endroits extraordinaires, tu as vu des choses extraordinaires, mais tu n’es pas chrétien. Tu es un blasphémateur. Es-tu
l’envoyé de Satan ? Tu fais des tas d ’histoires pour
des choses qui sont normales. Tu te comportes comme un fou. Tu déranges les
pères, tu déranges sire Toranaga , tu nous divises et mets
nos croyances en doute. Tu nous tourmentes avec tes insinuations sur ce qui est
vérité et mensonge, sachant que nous ne pouvons te fournir de preuves
immédiates.
« Je m’excuse de ma grossièreté, dit-elle. Vous avez
raison d’être en colère. Je ne suis qu’une femme stupide. Soyez patient et
pardonnez ma stupidité, Anjin-san. »
La colère de Blackthorne s’apaisa immédiatement. « Je
m’excuse également, Mariko-san, dit-il, radouci. Mais chez nous, insinuer qu’un
homme est un pédéraste, un sodomite est la pire des insultes.
— Je ne voulais pas vous faire de mal, Anjin-san.
Acceptez toutes mes excuses. » Elle soupira et sa voix se fit mielleuse,
si mielleuse qu’un mari dans la pire des humeurs y aurait succombé. « Oh,
oui. C’était entièrement ma faute. Je suis vraiment désolée. »
Le soleil avait atteint l’horizon et le père Alvito
attendait toujours dans la salle d’audience, les carnets à la main. C’était la
première fois que Toranaga le faisait attendre, la première fois qu’il
attendait un daimyô. Durant les huit dernières années du règne du Taikô,
il avait eu l’incroyable privilège de l’accès immédiat. Il avait dû cet honneur
à sa complète maîtrise de la langue japonaise et à son flair commercial. Sa
connaissance des rouages internes du commerce international avait grandement
aidé à consolider et à agrandir la fortune du Taikô.
Quoique le Taikô fût pratiquement analphabète, son flair
politique était immense. Alvito s’était joyeusement assis aux pieds du despote
pour enseigner, apprendre et convertir, si telle était la volonté de Dieu. Tel
était du moins le rôle spécifique auquel Dell’Aqua l’avait entraîné. Alvito
était devenu confident du Taikô, l’une des quatre personnes – le seul étranger
– à être autorisée à voir les salles du trésor. Celles-ci
se trouvaient au quatrième étage du donjon. Elles étaient protégées par une
multiplicité de murs, de portes bardées de fer, et de fortifications. Là se
trouvait le trésor de
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