Shogun
enchantés de sa
disparition. Cela ne faisait aucun doute. Onoshi et Kiyama seraient tout aussi
enchantés. Ils en ont peur au point de fomenter individuellement ou
conjointement des tentatives d’assassinat. Pourquoi une telle peur ? pensa-t-il.
— Je peux perdre les canons. Je peux perdre Yabu. Mais
l’Anjin-san ? Oui.
Parce que j’ai encore huit autres barbares en réserve. Leur
savoir collectif équivaudra ou dépassera peut-être celui de ce seul homme.
L’important est que je retourne à Yedo aussi rapidement que possible pour
préparer la guerre qui est inévitable. Kiyama et Onoshi ? Qui sait s’ils
me soutiendront ? Peut-être oui, peut-être non. Mais un bout de terrain et
quelques promesses sont vraiment de peu de poids dans la balance si j’obtiens l’appui
des chrétiens d’ici quarante jours.
Le tambour de la galère se remit soudainement à résonner.
Les avirons plongèrent dans l’eau avec force. Ils virent la monére s’éloigner
d’eux et constatèrent que le pavillon de Toranaga avait été abattu.
« On dirait qu’ils annoncent à chacun de ces putains de
bateaux de pêche que sire Toranaga n’est plus à bord dit Rodrigues. Si j’étais
lui, je ferais route vers la haute mer et je nous laisserais pris au piège, du
moins j’essaierais. L’Ingeles attire l’attention sur nous. Que va-t-il se
passer ?
Les prêtres descendirent à terre.
« Toutes voiles dehors ! » hurla Rodrigues.
Sa jambe lui faisait très mal.
« Sud-sud-ouest. Tous les hommes à leurs postes !
— Senhora, dites à sire Toranaga, je vous prie, qu’il
vaudrait mieux qu’il descende. Ce serait plus sûr, dit Ferriera.
— Il vous remercie et dit qu’il préfère rester
ici. » Ferriera haussa les épaules, monta sur le gaillard d’arrière.
« Chargez les canons ! Prêts à tirer ! Tous
aux postes de c ombat ! »
2 8
« Isogi ! » hurla Blackthorne pour
obliger le maître de nage à accélérer la cadence. Il se retourna, regarda la
frégate qui fonçait droit sur eux, toutes voiles dehors. Puis il reporta son
attention vers l’avant. Il se demanda s’il avait bien jugé, car il y avait peu
d’espace pour manœuvrer près des écueils, quelques mètres à peine entre succès
et catastrophe. La frégate devait changer de bordée à cause du vent pour faire
voile vers la sortie du port, mais elle avait l’avantage de la vitesse.
Rodrigues avait annoncé clairement pendant la dernière bordée que la galère
ferait mieux de ne pas lui obstruer la route quand la Santa Theresa aurait besoin d’espace pour manœuvrer.
« Tenez le coup, bon Dieu ! » gueula
Blackthorne. La brise séchait ses vêtements trempés. Il scruta le ciel. Pas de nuages autour de la lune. Vent léger. Pas de danger de ce
côté-là , pensa- a-t-il. Dieu fasse que la lune nous éclaire
jusqu’à ce que nous soyons sortis.
Il maintenait le cap, essayant de contraindre la frégate à
virer avant d’avoir pris toute la place dans le vent. Mais elle ne dévia pas et
poursuivit sa route, venant droit sur lui. Quand le mât de beaupré de la
frégate fut presque sur leur pont arrière, il entendit l’ordre de
Rodrigues : « Bordée bâbord ! Virez vent devant ! Maintenez
le cap ! » Puis un cri en espagnol lui parvint : « Va
bouffer le cul du diable, Ingeles !
— Ta mère s’en occupe depuis longtemps, Rodrigues, répon dit-il. Isogi, Isogi, bon Dieu ! »
Les rameurs redoublèrent d’efforts. Avec de grands signes, Blackthorne ordonna que d’autres hommes s’installent aux avirons. Il fallait atteindre la sortie avant la frégate qui dansait à l’autre bout du port, sinon ils étaient perdus.
Il vit que Rodrigues faisait déferler les voiles de perroquet et de hunier.
« Il est aussi rusé qu’un putain de
Portugais ! »
Il concentra son attention sur le nouveau cap, sur ces bancs
de sable dont Santiago, sur les ordres de Rodrigues, lui avait parlé. Il avait
la tête claire. Il se sentait assez fort, s’il faisait preuve de prudence. Mais
il savait qu’il ne pouvait plus compter sur ses réserves.
La frégate se fraya si bien son chemin durant la bordée au
vent, qu’elle les dépassa d’une centaine de mètres et fit route vers la côte.
Il entendit des jurons transportés par le vent, mais n’y répondit pas.
« Isogi ! Nous sommes en train de
perdre ! »
L’excitation provoquée par la course et celle d’être seul
commandant, ajouté au rare privilège
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