Shogun
il
l’avait prise avec douceur.
Il n’avait pas demandé son nom. Au matin, quand Mura,
nerveux, tendu et affolé, était venu le sortir de son sommeil, elle était déjà
partie.
Dans la cave, Spillbergen cherchait à nouveau la bagarre.
Maetsukker se tenait la tête et gémissait non pas de douleur, mais de
peur ; Croocq était au bord de la crise d’hystérie.
Jan Roper dit : « Dans tout ça, où faut-il rire,
pilote ?
— Va donc au diable !
— Avec tout le respect que je vous dois, pilote »,
dit Van Nekk, prudemment. Il disait tout haut ce que les autres pensaient tous
bas. « Vous avez commis une imprudence en attaquant le prêtre devant ce
putain de salaud de Jaune. Si vous ne l’aviez pas fait, je
ne crois pas qu’on serait maintenant dans ce merdier. Tout ce que vous avez à
faire, c’est de mettre votre tête dans la poussière quand ce salaud de Seigneur
est dans les parages. Les autres se font alors aussi doux que des
agneaux. »
Il attendit une réponse, mais Blackthorne se retourna
simplement vers la trappe et fit comme si rien n’avait été dit. Le malaise
grandit.
« Vous auriez dû lui rompre le cou, pilote. Les
jésuites ne nous laisseront, de toute façon, jamais en paix, dit Jan Roper. Ce
sont de foutues punaises. Et nous, nous sommes ici, dans ce putain de trou
puant. Et c’est le châtiment de Dieu.
— Foutaises, Roper, dit Spillbergen. Nous sommes ici
parce…
— C’est le châtiment de Dieu ! Nous aurions dû
brûler toutes les églises de Santa Magdellana. Pas seulement deux.
— Nous sommes peut-être ici pour faire le travail de Dieu »,
dit Van Nekk en essayant de le calmer. Roper était un brave homme malgré son
fanatisme ; c’était un marchand habile et le fils de
son associé. « Nous pourrions peut-être montrer à ces indigènes les
erreurs de leurs habitudes papistes. Nous pourrions peut-être les convertir à
la Vraie Foi.
— Tout à fait vrai », dit Spillbergen. Il se
sentait encore faible, mais ses forces revenaient. « Je crois que vous
auriez dû demander son avis à Baccus, pilote. Après tout, il est le chef des
marchands. Il est très fort pour parlementer avec les sauvages. Passe-moi
l’eau, t’ai-je dit !
— Il n’y en a pas, Paulus. » Le visage de Van Nekk
s’assombrit un peu plus.
« Ils ne nous ont pas donné d’eau ni de nourriture.
Nous n’avons même pas un pot pour pisser.
— Eh bien, demandes-en un ! Et un peu d’eau !
Dieu du ciel, qu’est-ce que j’ai soif. Demande de l’eau ! Toi !
— Moi ? dit Vinck.
— Oui. Toi ! »
Vinck regarda Blackthorne, mais il observait la trappe. Il
semblait les avoir complètement oubliés. Vinck alla vers l’ouverture et se mit
à crier.
« Hé ! vous, là-haut ! Donnez-nous cette
putain d’eau ! Nous voulons à manger et à boire ! »
Pas de réponse. Il cria à nouveau. Toujours pas de réponse.
Peu à peu, les autres se joignirent à lui, en chœur. Ils se mirent tous, à
l’exception de Blackthorne, à hurler comme des loups. Le ton de leurs voix trahissait leur peur et leur sentiment de promiscuité.
La trappe s’ouvrit. Omi passa la tête et les regarda. Mura
était à côté de lui. Le prêtre était là, également.
« De l’eau ! À manger, bon Dieu !
Laissez-nous sortir d’ici ! »
Omi fit un signe à Mura qui acquiesça et s’en alla. Un
instant plus tard, il revint avec un autre pêcheur ; ils portaient un
énorme fût qu’ils vidèrent sur la tête des prisonniers. Les hommes
s’éparpillèrent aux quatre coins de la cave, mais beaucoup ne purent en éviter
le contenu – déchets de poisson en décomposition et eau salée.
Blackthorne n’avait pas bougé de son coin. Il fixait
simplement Omi. Il le haïssait.
Omi se mit ensuite à parler. Un silence intimidé s’établit,
seulement interrompu par les quintes de toux et les haut-le-cœur de
Spillbergen.
Quand Omi eut terminé, le prêtre passa la tête, à son tour.
« Tels sont les ordres de Kasigi Omi : vous allez vous comporter comme des êtres humains. Vous n’allez plus
faire de bruit. Si vous en faites, cinq tonneaux seront, la prochaine fois,
déversés dans la cave. Puis dix, vingt. On vous donnera à boire et à manger
deux fois par jour. Quand vous aurez appris à vous tenir, vous serez autorisés
à retourner dans le monde des hommes. Le seigneur Yabu vous a gracieusement
épargné la vie, à condition que vous lui soyez loyaux. Tous,
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