Shogun
Kinjiru ! » dit-il,
saisissant l’incroyable utilité de ce mot. Allez dire à un homme qui ne parle pas votre langue que tuer, assassiner un homme sans
défense est contraire à votre code, que vous n’êtes pas un bourreau et que le
suicide est un péché aux yeux de Dieu.
Le samouraï les supplia encore une fois. C’était tout à fait
clair. Mais Blackthorne fit non de la tête. « Kinjiru ! » L’homme regarda autour de lui, désespéré. Il se leva brusquement et alla se
fourrer la tête au fond du tonneau qui servait de latrines. Jan Roper et Sonk
le tirèrent immédiatement de là. Il étouffait et se débattait.
« Laissez-le tranquille », ordonna Blackthorne. Ils obéirent. Il
montra les latrines du doigt. « Samouraï, si c’est ce que tu veux, vas-y. »
L’homme avait des haut-le-cœur. Il comprit. Il regarda le
baril infect et sut qu’il n’avait pas la force suffisante pour y garder la tête
longtemps. De dépit, il retourna à sa place, contre le mur. Blackthorne puisa
un demi-gobelet dans le baril, se leva, les membres gourds, s’approcha du
Japonais et le lui tendit. Le samouraï ne regarda pas le quart.
« Je me demande combien de temps il va tenir comme ça
dit Blackthorne.
— Éternellement. Ce sont des animaux. Ce sont pas des
humains, dit Jan Roper.
— Pour l’amour de Dieu, jusqu’à quand vont-ils nous
garder ici ? demanda Ginsel.
— Aussi longtemps qu’ils le voudront.
— Nous devrons faire tout ce qu’ils veulent, dit Van
Nekk. Il le faudra bien si nous voulons rester en vie et sortir de ce putain de
trou. N’est-ce pas, pilote ?
— Oui, dit Blackthorne qui mesurait l’ombre du soleil.
Il est midi. C’est la relève de la garde. »
Spillbergen, Maetsukker et Sonk se mirent à geindre et il
les engueula. Quand ils se furent tous réinstallés, il s’allongea satisfait. La
boue était infecte et les mouches plus irritantes que jamais. Mais pouvoir
s’allonger de tout son long était pour lui une joie immense.
Qu’ont-ils fait à Pieterzoon ? se demanda-t-il ;
il sentait la fatigue l’envahir. Ô Seigneur, aidez-nous à sortir d’ici. J’ai
peur.
Des pas résonnèrent au-dessus de leurs têtes. La trappe
s’ouvrit. Le prêtre se tenait dans l’encadrement, escorté par un samouraï.
« Pilote. Vous allez me suivre. Vous allez sortir.
Seul », dit-il.
6
Tous les regards se tournèrent vers Blackthorne.
« Que me veulent-ils ?
— Je ne sais pas, dit gravement le père Sebastio. Vous
devez me suivre tout de suite. »
Il savait qu’il n’avait pas le choix. Il n’abandonna pas
pourtant son mur et tenta de rassembler ses forces.
« Qu’est-il arrivé à Pieterzoon ? »
Le prêtre lui raconta. Blackthorne traduisit pour ceux qui n e parlaient pas portugais.
« Que le Seigneur ait pitié de lui, murmura Van Nekk,
dans un silence horrifié. Pauvre homme. Pauvre homme.
— Je suis désolé, mais je n’ai rien pu faire, dit le
père, tr ès triste. Je ne crois pas qu’il m’ait reconnu ou
qu’il ait d’ailleurs reconnu qui que ce soit, une fois dans le chaudron. Il n’avait p lus ses esprits. Je lui ai donné l’absolution et j’ai
prié pour lui . Peut-être, avec la miséricorde de Dieu… In
nomine Patris et Filii et Spiritus sancti, amen. » Il fit le signe de
la croix au-dessus du trou. « Je vous adjure tous de renoncer à vos
hérésies et de revenir dans le chemin de Notre Seigneur. Pilote, vous devez
sortir et me suivre.
— Nous quittez pas, pilote, pour l’amour de
Dieu ! » cria Croocq.
Vinck tituba jusqu’à l’échelle et se mit à grimper.
« Qu’ils me prennent… pas le pilote. Moi, pas lui. Dites-lui. » Il
s’arrêta désespéré, les pieds posés sur les barreaux. Une longue lance s’arrêta
à quelques centimètres de son cœur. Il essaya d’en saisir la hampe, mais le
samouraï était prêt. Si Vinck n’avait pas fait un bond en arrière, il se serait
empalé. Le même samouraï fit signe à Blackthorne et, d’un ton menaçant, lui
intima l’ordre de sortir. Il ne bougea pas. Un autre fit pénétrer dans la cave
un long javelot hérissé de pointes et tenta de harponner Blackthorne.
Personne ne vint à son aide, hormis le samouraï qui était
avec eux, dans la cave. Il se saisit du javelot et s’adressa sèchement à
l’homme qui était au-dessus de lui. Celui-ci hésita, regarda Blackthorne,
haussa les épaules et parla.
« Qu’est-ce qu’il a dit ? »
Le
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