Shogun
prêtre répondit : « C’est un dicton japonais.
Le destin d’un homme est le destin d’un homme. La vie n’est qu’illusion. »
Blackthorne hocha la tête et se dirigea vers l’échelle,
qu’il gravit sans se retourner. Une fois en pleine lumière, la réverbération
était si forte qu’il se mit à loucher. Ses genoux le trahirent et il s’écroula
sur le sol sablonneux.
Omi se tenait en retrait. Mura et le prêtre étaient près des
quatre samouraïs. Ô Seigneur, donnez-moi la force ! pria Blackthorne. Il
faut que je me remette debout. Je dois faire semblant d’être fort .
C’est la seule chose qu’ils respectent. La force. Le courage. Je vous en
prie, aidez-moi.
Il serra les dents et se releva avec difficulté, titubant
légèrement.
« Qu’est-ce que vous me voulez, nom de Dieu, espèce
d’affreux petit salopard ? » dit-il à Omi. Il ajouta pour le
prêtre : « Dites à ce fils de pute que je suis daimyô dans mon
pays. Qu’est-ce que c’est que cette manière de me traiter ? Dites-lui
qu’on ne lui cherche pas de crosses. Dites-lui de nous laisser partir ou ça va
aller mal pour lui, très mal. Dites-lui que je suis daimyô, par le
Seigneur Dieu. Je suis l’héritier de sire William de Micklehaven, puisse ce
salaud être mort depuis longtemps. Dites-le-lui ! »
La nuit avait été terrible pour le père Sebastio, mais
pendant sa veille il avait ressenti la présence divine et avait atteint un
degré de sérénité qu’il n’avait jamais connu. Il savait qu’il pouvait devenir
l’instrument de Dieu contre ces païens, qu’il était protégé de ces impies et de
la ruse de leur chef. Il savait, d’une certaine façon, que cette nuit avait été
pour lui une initiation, un tournant.
« Dites-le-lui ! »
Le prêtre dit en japonais : « Le pirate dit qu’il
est un Seigneur dans son propre pays. » Il écouta la réponse d’Omi.
« Omi-san dit qu’il lui importe peu de savoir si vous êtes roi dans votre
pays. Vous vivez ici selon le bon vouloir de sire Yabu – vous et tous vos
hommes.
— Dites-lui qu’il est une belle charogne.
— Vous devriez faire attention et éviter de
l’insulter. »
Omi se remit à parler.
« Omi-san dit qu’on va vous donner un bain. À manger et à boire. Si vous vous tenez correctement, on ne vous
renverra pas dans le trou.
— Et mes hommes ? »
Le prêtre posa la question à Omi.
« Ils resteront sous terre. »
« Alors, dites-lui d’aller se faire foutre. »
Blackthorne se dirigea vers l’échelle pour redescendre.
Deux des samouraïs l’en empêchèrent. Il essaya de leur résister, mais ils parvinrent
à le maîtriser, facilement.
Omi parla au prêtre, puis à ses hommes. Ils relâchèrent
Blackthorne qui faillit tomber.
« Omi-san dit que si vous ne savez pas vous tenir, un
de vos hommes sera sacrifié. Il y a plein de bois et d’eau. »
Si j’accepte maintenant, pensa Blackthorne, ils auront
trouvé le moyen de me faire obéir et je serai en leur pouvoir. Je finirai bien
par faire tout ce qu’ils veulent. Van Nekk avait raison. Il faudra bien que je
dise oui à tout.
« Que veut-il que je fasse ? Qu’est-ce que ça veut
dire , “savoir se tenir” ?
— Omi-san dit que ça veut dire : obéir. Faire ce
que l’on vous demande de faire. Manger de la merde, si besoin est.
— Dites-lui d’aller se faire voir. Dites-lui que je lui
pisse dessus, que je pisse sur son pays tout entier – et sur son daimyô.
— Je vous conseille d’accepter ce qu’…
— Dites-lui exactement ce que je vous ai dit, par le
Seigneur Dieu !
— Très bien. Mais je vous ai prévenu, pilote. »
Omi écouta le prêtre. Les articulations de ses mains
devinrent exsangues. Ses hommes étaient gênés et ils fusillaient Blackthorne
des yeux. Omi donna un ordre, très calmement.
Deux samouraïs descendirent immédiatement dans le trou et en
ressortirent avec Croocq. Ils le traînèrent jusqu’au chaudron, le ligotèrent
pendant que les autres apportaient de l’eau et du bois. Ils plongèrent le
garçon terrorisé dans l’eau et allumèrent le feu.
Blackthorne regardait la bouche de Croocq. Elle proférait
des paroles muettes. La terreur se lisait sur son visage. La vie ne vaut rien
pour ces gens-là, pensa-t-il. Que Dieu les maudisse jusqu’en enfer. Ils vont
faire cuire Croocq, aussi sûr que je me trouve dans cet endroit perdu.
« Dites-lui d’arrêter, dit Blackthorne.
Weitere Kostenlose Bücher