Shogun
qu’on risque quoi que ce soit. La flèche est toujours
pointée ?
— Oui. Attends un peu. Le capitaine est… quelqu’un se
dirige vers lui. Je crois que c’est un marin. On dirait qu’il lui demande
quelque chose au sujet du bateau. Le capitaine nous regarde. Il dit quelque
chose à l’homme qui a la flèche pointée sur nous. Le type baisse son arc. Le
marin montre maintenant quelque chose sur le pont. »
Rodrigues lança un petit coup d’œil par en dessous pour se
rendre compte et se mit à respirer plus facilement. « C’est un des
officiers. Il va lui falloir toute la demi-heure pour mettre ses rameurs en
place. »
Blackthorne attendit. La distance augmentait. « Le
capitaine nous regarde à nouveau.
— Laisse-le. » Rodrigues se détendit, mais ne
ralentit pas la cadence pour autant.
« J’aime pas avoir le dos face aux
samouraïs. Surtout quand ils ont des armes entre les mains. De toute façon,
j’ai jamais vu un seul de ces fumiers sans arme. Sont tous des fumiers !
— Pourquoi ?
— Ils adorent tuer, Ingeles. C’est leur coutume de
dormir avec leurs épées. C’est un très grand pays, mais les samouraïs sont
aussi dangereux que des vipères.
— Pourquoi ?
— Je sais pas pourquoi, Ingeles, mais ils le sont en vérité, répondit Rodrigues, heureux de parler avec quelqu’un de
sa race. Bien sûr, tous les Japs sont différents de nous. Ils sentent pas la
douleur ni le froid comme nous. Mais les samouraïs sont quand même pires. Ils
ont peur de rien, de la mort moins que tout. Pourquoi ? Dieu seul le sait,
mais c’est la vérité. Si leurs supérieurs leur disent, “tuez”,
ils tuent, “mourez” et ils se jettent sur leurs épées et s’ouvrent le
ventre. Ils tuent et meurent aussi facilement que nous pissons. Les femmes sont
aussi samouraïs. Ingeles. Elles te tueront pour protéger leurs maîtres. C’est
comme ça qu’elles appellent leurs maris. Elles se tueront si on le leur
ordonne. Elles se tuent en s’ouvrant la gorge. Un samouraï peut ordonner à sa
femme de se tuer et elle doit obéir. C’est la loi. Sainte Mère, les femmes sont
quand même très différentes, une espèce à part, Ingeles. Rien sur la terre qui
leur soit semblable, mais les hommes… les samouraïs sont des reptiles. La
meilleure façon de les traiter c’est de les considérer comme des serpents
venimeux. Ça va maintenant ?
— Oui, merci. Un peu faible, mais bien.
— Comment s’est passé le voyage ?
— Difficile.
— Qu’est-ce qui se passe à bord ?
— Le capitaine baragouine avec un autre samouraï et
nous montre du doigt. Qu’est-ce qu’ils ont de si particulier ?
— Un samouraï commande tout. Il possède tout. Ils ont
leur propre code de l’honneur et leurs propres règles. Qu’est-ce qu’il fait
maintenant, l’enfoiré de mes fesses ?
— Il nous regarde, c’est tout. Il a son arc sur
l’épaule. » Blackthorne frissonna. « Je hais ces fumiers plus que les
Espagnols. »
Rodrigues se mit à rire, tout en ramant. « S’ils
apprenaient la vérité… » Il ajouta : « Mais si tu veux devenir
riche, faudra que tu travailles avec eux parce qu’ils possèdent tout. T’es sûr
que ça va ?
— Oui, merci. Tu disais ? Les samouraïs possèdent
tout.
— Oui. Tout le pays est divisé en castes, comme en
Inde. Au sommet, les samouraïs, ensuite les paysans. » Rodrigues cracha
par-dessus bord. « Seuls les paysans ont le droit de posséder
la terre. Tu comprends ? Mais les samouraïs possèdent tous les produits de
la terre. Le riz leur appartient totalement. C’est la seule récolte importante
du pays. Ils redistribuent ensuite leur part aux paysans. Seuls les samouraïs
ont le droit de porter des armes. » Rodrigues rota et cracha. « Avec
tout ça, si tu sais deux ou trois choses, cet endroit reste bien un paradis sur
terre. » Il jeta un coup d’œil vers la galère pour se rassurer, puis il
dit ironiquement : « Rien de tel qu’une petite balade dans le port,
hein ? »
Blackthorne éclata de rire.
« Tu godilles drôlement bien. Quand tu es arrivé, je me
demandais comment j’allais me servir des rames.
— Tu croyais tout de même pas que j’allais te laisser
partir seul ? Quel est ton nom ?
— Blackthorne. John Blackthorne.
— T’as déjà été dans le Nord, Ingeles ? Vers le
pôle Nord ?
— J’étais avec Kees Veerman, à bord du Der Lifle, i l y a huit ans de ça. C’était son
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