Shogun
quoi ?
— Faudra voir, pas vrai ? J’ai pas arrêté de
parler jusqu’à maintenant, ce qui est juste. Je peux, tu peux pas. Ce sera
bientôt ton tour. Où est ta cabine ? »
Blackthorne observa Rodrigues pendant quelques instants. Une
odeur rance régnait dans l’entrepont. « Merci de m’avoir aidé à monter à
bord. » Il ouvrit le chemin vers l’arrière. Sa porte n’était pas fermée à
clef. La cabine avait été fouillée de fond en comble et tout ce qui pouvait
être emporté l’avait été. Plus de livres, plus d’instruments, plus de plumes
d’oie. Son coffre était ouvert également. Vide.
Vert de rage, il arpentait le carré. Rodrigues le fixait
intensément. Même le tiroir secret avait été découvert et pillé.
« Ils ont tout pris. Ces fils de pute vérolés !
— Tu t’attendais à quoi ?
— Je ne sais pas. Je pensais… avec les scellés… »
Blackthorne se rendit à la chambre forte. Elle était vide. Le magasin aussi. Les cales ne contenaient que des ballots de vêtements en
laine « Que Dieu maudisse tous les Japs ! » Il revint dans sa
cabine et ferma violemment son coffre.
« Où sont-ils ? demanda Rodrigues.
— Qui ?
— Tes carnets. Où sont tes carnets ? »
Blackthorne le regarda méchamment.
« Aucun pilote s’inquiéterait pour ses vêtements. T’es
venu pour les carnets, pas vrai ?
— Oui.
— Pourquoi t’es surpris, Ingeles ? Pourquoi tu
crois que je suis venu ? Pour t’aider à prendre quelques haillons de plus ? Ils sont usés de toute façon jusqu’à la corde.
T’aurais plutôt besoin de vêtements neufs. J’en ai plein pour toi. Mais où sont
les carnets ?
— Ils sont partis. Ils étaient dans mon coffre.
— Je vais pas te les voler, Ingeles. Je veux seulement les lire et les recopier, si besoin est. Je les chérirai comme
les miens. Pas besoin de te faire de souci. » Sa voix se durcit. « Je
t’en prie, trouve-les, Ingeles. Il nous reste peu de temps.
— Je ne peux pas. Ils se sont envolés. Ils étaient dans
mon coffre.
— Tu les aurais tout de même pas laissés là… pas en
venant dans un port étranger. T’oublierais pas aussi facilement la règle d’or
des pilotes… cacher soigneusement les carnets et laisser les faux seulement en
évidence. Dépêche-toi !
— Ils ont été volés !
— Je te crois pas. Mais je veux bien admettre que tu
les as merveilleusement cachés. J’ai cherché pendant deux
heures. J’en ai pas reniflé la moindre trace.
— Quoi ?
— Pourquoi t’es surpris, Ingeles ? Tu serais pas
con à ce point ? Je suis bien sûr venu d’Osaka pour jeter un œil sur tes
carnets.
— Tu es déjà venu à bord ? »
— Sainte Mère, dit Rodrigues en s’impatientant. Oui,
bien sûr. Y a deux ou trois heures avec Hiro-matsu qui voulait jeter
u n coup d’œil, lui aussi. Il a brisé les scellés et quand on est
repartis, ce daimyô local a remis les scellés. Dépêche-toi, par le
Seigneur Dieu ! Le sable finit de s’écouler.
— Ils ont été volés ! » Blackthorne
lui raconta comment ils étaient arrivés, comment ils s’étaient réveillés, à
terre. Puis il balança son coffre à travers la cabine, furieux contre ces
hommes qui avaient pillé son bateau. « Ils ont été volés ! Toutes mes
cartes ! Tous mes carnets ! J’ai des copies pour certains, en
Angleterre, mais le carnet établi pendant ce voyage a été volé et le… » Il
s’arrêta.
« Et le carnet portugais ? Allez, Ingeles. Il
fallait qu’il soit portugais.
— Oui. Et le carnet portugais a aussi disparu. »
Ressaisis-toi, pensa-t-il. Ils ont disparu et c’est la fin.
Tu n e rentreras jamais chez toi… C’est faux. Tu peux mener
le bateau jusqu’au pays, avec de la prudence et une chance extraordinaire… Ne
sois pas ridicule ! Tu es à mi-chemin, de l’autre côté de la terre, en
territoire ennemi, et tu n’as ni cartes ni carnets. Ô Seigneur, venez-moi en
aide ! Rodrigues l’observait attentivement. Il finit par dire :
« Je suis désolé pour toi, Ingeles. Je sais ce que tu ressens. Ça m’est
arrivé une fois. C’était un Anglais, aussi, le voleur. Que son bateau coule et
qu’il brûle dans le feu éternel, Allez, viens. Retournons à bord. »
Omi et les autres attendirent sur la jetée que la
galère ait contourné le promontoire et ait disparu.
« Mura, combien de temps faudra-t-il pour ramener les
canons à bord du bateau ?
— Si
Weitere Kostenlose Bücher