Shogun
je serais si honteux que je me sentirais obligé de me tuer.
J’aimerais avoir l’honneur de faire respecter vos ordres. »
Hiro-matsu hocha la tête, intérieurement surpris que Yabu
prenne un tel risque.
Quand Blackthorne comprit que Yabu allait à terre avec lui,
son pouls s’accéléra. Je n’ai pas oublié Pieterzoon, mon équipage, le trou, les
hurlements. Je n’ai pas, non plus, oublié Omi. Rien de tout ça. Fais gaffe à ta
vie, fumier.
9
Ils touchèrent terre rapidement. Blackthorne avait
l’intention de mener le détachement, mais Yabu prit sa place et conduisit à
vive allure. Il était difficile de tenir le rythme. Les six autres samouraïs le
surveillaient étroitement. Je ne peux aller nulle part, bande d’idiots,
pensa-t-il, comprenant mal leur regard. Il observa la baie, cherchant les bancs
de sable, les récifs cachés, relevant des points. Son esprit engrangeait toutes
ces choses importantes pour les transcrire plus tard.
Ils mirent pied sur le rivage caillouteux, puis escaladèrent
quelques rochers érodés par les vagues et atteignirent un sentier qui longeait
la falaise. Ils firent le tour du promontoire, en direction du sud. La pluie
avait cessé, mais le vent continuait de souffler. Les vagues qui venaient se
fracasser sur les rochers en dessous d’eux se faisaient de plus en plus hautes
à mesure qu’ils s’approchaient de cette langue de terre exposée aux éléments.
Elles projetaient des gerbes d’embruns dans les airs. Ils furent bientôt
trempés jusqu’aux os.
Au-dessus d’eux, la falaise se dressait à cent cinquante
mètres environ. Le rivage était à quinze mètres, plus bas.
Des montagnes les entouraient. D’autres se profilaient dans le lointain. Il n’y
avait pas une maison ou une cabane visible, sur tout le pourtour de la baie. Ça
n’avait rien de surprenant puisqu’il n’y avait aucune place pour les champs
labourés, les cailloux du rivage se transformant en contreforts rocailleux,
puis en montagnes de granit. Des arbres poussaient sur le haut,
des pentes. Le sentier serpentait le long de la falaise Blackthorne
avançait en luttant contre le vent. Il remarqua que les jambes de Yabu étaient
fortes et musclées. Glisse, fils de pute, pensa-t-il. Glisse, écrase-toi sur
les rochers en contrebas. Est-ce que ça te ferait hurler ? Qu’est-ce qui
te ferait hurler ?
Il détourna les yeux de Yabu avec effort et se remit à
scruter la grève. Chaque crevasse, chaque goulet, chaque trou. Le vent chargé
d’embruns lui arrachait des larmes. La mer venait se briser sur les rochers
puis se retirait, tourbillonnante et écumante. Il savait qu’il y avait peu
d’espoir de retrouver Rodrigues. Il y avait trop d’endroits cachés, de grottes
impossibles à explorer. Mais il s’était senti obligé d’aller à terre. Il devait
essayer. Il devait au moins ça à Rodrigues. Tous les pilotes priaient pour être
enterrés à terre, s’ils mouraient.
Ils firent le tour du promontoire et s’arrêtèrent avec joie
dans un endroit abrité. Pas la peine d’aller plus loin. À un demi-mile environ,
un petit village de pêcheurs se blottissait sur le rivage éclatant de
blancheur. Yabu fit signe à deux samouraïs. Ils s’inclinèrent immédiatement et
partirent dans la direction des maisons. Un dernier regard. Yabu essuya la
pluie qui coulait sur son visage, jeta un coup d’œil vers Blackthorne. Ils se
remirent en marche, Yabu en tête. Les autres samouraïs continuaient de le
regarder et il pensa à nouveau qu’ils étaient vraiment stupides.
À mi-chemin du retour, ils virent Rodrigues.
Le corps en partie immergé était prisonnier d’une crevasse,
entre deux gros rochers. Un bras pointait vers l’avant. L’autre était toujours
agrippé à l’aviron brisé qui dansait doucement, au rythme du flux et du reflux. C’est ce mouvement qui avait attiré l’attention de
Blackthorne. La falaise était le seul chemin accessible. La descente était de
quinze à dix-huit mètres, abrupte, sans aucun point d’appui.
Et la marée ? se demanda Blackthorne. La marée monte. Ç a va l’emporter, de nouveau, au large. Ça a l’air drôlement
dangereux, là en bas.
Il s’approcha du bord. Yabu le suivit immédiatement en
secouant la tête. Les autres samouraïs l’entouraient.
« J’essaie seulement d’avoir un meilleur aperçu, pour
l’amour de Dieu ! dit-il. Je n’essaie pas de me sauver ! Où
pourrais-je me sauver ? »
Il recula un peu et
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