Shogun
de sa jambe gauche était à nu. L’épaule droite semblait
disloquée. Yabu essaya de savoir s’il avait des hémorragies. Il n’en avait pas.
S’il n’a pas de blessures internes, il pourra peut-être survivre, pensa-t-il.
Des cris anxieux résonnèrent au-dessus. Il comprit alors ce que le barbare lui
montrait du doigt. La marée ! La marée montait vite. Elle léchait déjà les
rochers. Il se mit debout et grimaça de douleur. La mer bloquait toute
retraite. D’après la marque laissée sur les rochers, elle allait dépasser la
taille d’un homme.
Il observa l’embarcation. Elle était à présent près de la
galère. Takatashi courait toujours sur la grève. Les cordes n’arriveront pas à
temps, se dit-il. Ses yeux explorèrent l’endroit. Pas de chemin pour remonter
au sommet de la falaise. Aucun rocher n’offrait d’abri. Pas de grottes. Il y
avait bien des touffes d’algues qui affleuraient au ras de l’eau, mais il ne
pourrait jamais les atteindre. Il ne savait pas nager et rien ne pouvait lui
servir de radeau.
Au-dessus, les hommes le regardaient. Le barbare lui indiqua
les algues et lui fit signe de nager. Il secoua la tête. Il se remit à explorer
méticuleusement l’endroit. Rien.
Pas possible de s’échapper, pensa-t-il. Il ne te reste plus
qu’à mourir. Prépare-toi.
Blackthorne criait : « Écoute-moi, fils de
pute ! Trouve une corniche. Il doit bien y en avoir une quelque
part ! »
Les samouraïs lui barraient le chemin et le regardaient
comme s’il était devenu fou. Il était évident qu’il n’y avait aucune issue et
que Yabu se préparait simplement à mourir en douceur, comme ils l’auraient
d’ailleurs fait s’ils avaient été à sa place. Ils en voulaient à Blackthorne de
sa folie. Tout comme Yabu lui en aurait voulu.
« Regardez, vous tous. Là, en bas, il doit y avoir une
corniche ! »
L’un d’entre eux s’approcha du bord de la falaise, regarda,
haussa les épaules, parla à ses camarades qui haussèrent les épaules à leur
tour. Ils barraient le chemin à Blackthorne chaque fois qu’il s’approchait du
bord. Il aurait très bien pu en précipiter un dans le vide. Il avait été tenté
de le faire. Mais il les comprenait, eux et leurs problèmes. Tu dois sauver
Yabu si tu veux sauver Rodrigues.
« Eh, toi, l’enculé, le bon à rien, l’enfoiré de mes
deux de Jap. Eh, Kasigi-Yabu ! Où sont donc passées tes
couilles ? N’abandonne pas ! Y a que les lâches qui
abandonnent ! T’es un homme ou une lavette ? » Mais Yabu ne fit
pas attention.
Blackthorne ramassa une pierre et la lança de toutes ses
forces sur lui. Elle tomba à l’eau. Les samouraïs engueulèrent Blackthorne. Il
savait qu’ils étaient capables de lui sauter dessus et de le ligoter. Mais
comment ? Ils n’avaient pas de cordes…
De la corde ! Trouvez de la corde ! Vous pouvez en
fabriquer ?
Ses yeux tombèrent sur le kimono de Yabu. Il se mit à le
déchirer en morceaux et à en éprouver la résistance. La soie était très solide.
« Allez ! ordonna-t-il en enlevant sa chemise. Faites une corde, hai ? »
Ils comprirent. Ils défirent rapidement leurs ceintures,
enlevèrent à leur tour leurs kimonos et l’imitèrent. Il joignit les ceintures
bout à bout. Pendant qu’ils achevaient cette tâche, Blackthorne s’allongea et
s’approcha du trou. Deux samouraïs le retenaient par les chevilles pour qu’il
ne tombe pas. Il n’avait pas besoin de leur aide, mais il voulait les rassurer.
Il avança le cou, conscient de leur angoisse. Il se mit à
fouiller le terrain comme on fouille l’océan. Morceau après morceau.
Qu’est-ce que c’est que ça ? Juste au-dessus de la
ligne des eaux ? Une fissure dans la falaise ? Une ombre ?
Blackthorne changea de position. La mer avait déjà presque
recouvert le rocher sur lequel Yabu était assis.
Il voyait maintenant la fissure avec plus de précision. Il
la montra du doigt. « Là. C’est quoi ? »
L’un des samouraïs, à genoux, suivit le doigt tendu de
Blackthorne, mais ne vit rien.
« Là ! C’est pas une corniche ! »
Il dessina la corniche avec ses doigts, imita un petit
bonhomme et le posa sur la corniche.
« Vite ! Isogi ! Faites-lui
comprendre. Kasigi-Yabu-sama ! Wakarimasu
ka ? »
L’homme se leva et se mit à parler très vite à ses
camarades. Ils regardèrent. Ils voyaient tous la corniche, à présent. Ils se
mirent à crier. Toujours pas de réponse de
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