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Shogun

Shogun

Titel: Shogun Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: James Clavell
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mettre un terme à ce jeu stérile du chat et de la souris.
    — Tu veux te reposer ?
    — Non, Ingeles. Parler c’est mieux. Parler fait oublier
la douleur. Sainte Mère, ce que je peux avoir mal à la tête ! J’arrive pas
à penser clairement. Parlons jusqu’à ce qu’on descende. Reviens me voir. J’ai
des tas de choses à te demander. Donne-moi un peu de rhum. Merci, merci,
Ingeles. » Au bout d’un moment, il poursuivit : « Y a trois ou
quatre millions d’hommes rien qu’à Kyushu. Y en a vingt autres millions dans
les îles et…
    — Ça n’est pas possible ! » Blackthorne s’en
voulut de l’avoir interrompu.
    « Pourquoi je te mentirais ? » Ses yeux
étaient fiévreux. Il n’arrêtait plus de parler. « C’est plus que toute la
population du Portugal, de l’Espagne, de la France, des Pays-Bas espagnols et
de l’Angleterre réunis. Tu peux même y ajouter tout le Saint-Empire romain pour
atteindre ce chiffre. »
    S’il y a tant de Japonais, comment faire face ? S’ils
sont vingt millions, ça veut dire qu’ils peuvent, s’ils le veulent, recruter
une armée supérieure en nombre aux hommes de notre population tout entière. Et
s’ils sont aussi féroces que ceux que j’ai vus (et pourquoi ne le seraient-ils
pas ?), par Dieu et ses blessures, ils sont imbattables.
    « Si tu crois que c’est beaucoup, lui disait Rodrigues,
attends d’être allé en Chine. Y a que des hommes jaunes, aux yeux et aux
cheveux noirs, là-bas. Oh ! Ingeles, t’as tellement de choses à apprendre.
J’étais à Canton l’année dernière, pour la vente de la soie. Canton est une
cité fortifiée dans le sud de la Chine, sur la rivière des
Perles, au nord de notre ville de Macao. Y a un million de ces païens qui y
vivent. Rien que dans ces murs. La Chine a plus d’habitants que tout le reste
du monde réuni. Doit avoir. Penses-y ! » Un spasme de douleur le
parcourut et il se tint l’estomac de sa seule main valide.
« J’avais des écoul ements de sang ? Quelque
part ?
    — Non, j’ai vérifié. Il n’y a que ta jambe et ton
épaule. Tu n’as pas de blessures internes, Rodrigues. Du moins, je ne crois pas.
    — La jambe est en mauvais état ?
    — Elle a été nettoyée et rincée par l’eau de mer. La
cassure était nette. La peau était propre.
    — T’as versé du cognac et tu l’as enflammé ?
    — Non, ils ne m’ont pas laissé faire. Ils m’ont
renvoyé. Mais le docteur semblait savoir ce qu’il faisait. Tes hommes vont vite
monter à bord ?
    — Oui. Dès qu’on aura accosté. C’est sûr.
    — Bien. Tu disais ? À propos de la Chine et de
Canton ?
    — J’en disais peut-être trop. On a le temps de parler
d’eux. » Blackthorne regarda la main valide du Portugais jouer avec l e paquet cacheté et se demanda encore quelle pouvait bien
être la signification de tout ça.
    « Ta jambe va guérir. Tu le sauras d’ici une semaine.
    — Oui, Ingeles.
    — Je ne crois pas que la gangrène s’y installe. Il n’y
a pas de pus. Tu penses bien ; ton cerveau n’est donc pas atteint. Ça va
aller, Rodrigues.
    — Je te dois toujours la vie. » Un frisson le
parcourut. « Quand j’étais en train de me noyer, j’ai pensé qu’aux crabes
qui me grignotaient les yeux. Je les sentais courir en moi, Ingeles. C’est la
troisième fois que je passe par-dessus bord. Chaque fois, c’est pire.
    — J’ai été coulé quatre fois. Trois fois par les
Espagnols. » La porte de la cabine s’ouvrit ; le capitaine s’inclina
et fit signe à Blackthorne de le suivre.
    « Hai ! » Blackthorne se leva.
« Tu ne me dois rien, Rodrigues, dit-il gentiment. Tu m’as donné l’espoir
et le réconfort quand j’étais désespéré et je t’en remercie. Nous sommes
quittes.
    — Peut-être, mais écoute-moi, Ingeles. Voilà quatre
vérités en acompte : n’oublie jamais que les Japs ont six visages et trois
cœurs. C’est un dicton. Un homme a un cœur faux dans la bouche qu’il montre au
monde entier. Un autre dans la poitrine qu’il montre seulement à ses amis et
ses parents. Le vrai cœur, celui que personne en dehors de lui ne connaît, le
seul vrai, le cœur secret est caché Dieu sait où. Ils sont menteurs au-delà de
toute imagination, dévorés par le vice au-delà de toute rédemption.
    —  Pourquoi est-ce que Toranaga
veut me parler ?
    — Je sais pas. Je sais pas, par la Très Sainte
Vierge ! Reviens me voir si tu peux.
    — Oui.

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