Shogun
pestiférée ou pour toute autre colonie
espagnole des Philippines, mais une escadre ennemie dans le Pacifique ! Ça
aurait de terribles conséquences pour nous, en Asie. Et s’il arrivait à se
faire entendre de Toranaga ou d’Ishido, ou de n’importe quel autre puissant daimyô ? La situation se ferait très difficile, pour ne pas dire
plus !
— Blackthorne est là. Heureusement, nous sommes en
position pour nous occuper de lui.
— Si je n’étais pas au courant, je croirais facilement
que les Espagnols, ou plus probablement leurs laquais, les Franciscains et les
Bénédictins, l’ont volontairement amené ici pour nous détruire.
— Peut-être, Votre Éminence. C’est possible. Les moines
ne reculeraient devant rien pour nous anéantir. Ce n’est que jalousie, parce
que nous réussissons là où ils échouent. Dieu leur montrera certainement
l’erreur de leur jugement ! Peut-être que l’Anglais “s’en
ira” avant de faire du mal. Ses carnets attestent de ce qu’il est en
vérité. Un pirate. Et le chef des pirates !
— Lisez-les à Toranaga, Martin. Lisez-lui ces passages
où il décrit le pillage de tous ces villages sans défense, d’Afrique au Chili…
ces passages où il donne le détail des rapines et des meurtres.
— Nous devrions peut-être attendre, Votre Éminence.
Nous pourrons toujours produire ces carnets en temps voulu. J’espère qu’il se
condamnera lui-même sans que nous ayons besoin d’avoir recours à eux. »
Le père Alvito s’essuya, une nouvelle fois les paumes. Il
sentait le regard de Blackthorne posé sur lui. Que Dieu ait pitié de toi,
pensa-t-il. Pour ce que tu as dit aujourd’hui à Toranaga. Ta vie ne vaut
vraiment pas un denier. Pire que ça, ton âme ne peut plus obtenir de
rédemption. Tu es crucifié, sans même avoir fourni la preuve de tes carnets.
La porte, à l’autre bout de la pièce, s’ouvrit brusquement.
« Sire Ishido veut vous voir. Immédiatement, a-t-il
dit, annonça Naga. Il est… il est dans le couloir et veut vous voir, Sire.
— Vous tous, à vos places », dit Toranaga à ses
hommes qui s’exécutèrent sur-le-champ. Tous les samouraïs s’assirent face à la
porte. Hiro-matsu en tête. Les épées étaient prêtes, dans leurs fourreaux.
« Naga-san, dis au sire Ishido qu’il est toujours le bienvenu. Dis-lui
d’entrer. »
Le grand homme entra. Dix de ses samouraïs – des Gris – le
suivaient. Ils s’arrêtèrent sur le seuil et s’assirent en tailleur à son
signal.
Toranaga s’inclina avec un cérémonial étudié. Le salut lui
fut rendu de la même façon.
Le père Alvito bénit sa chance d’être présent. La rencontre
entre ces deux chefs rivaux allait décider du cours de l’empire et de l’avenir
de la Très Sainte Mère l’Église au Japon. Tout indice ou information pouvant
permettre aux jésuites de savoir de quel côté reporter leur influence serait
d’une incommensurable importance. Ishido était bouddhiste zen et fanatiquement
antichrétien. Toranaga était bouddhiste zen et ouvertement sympathisant. Mais
la plupart des daimyôs chrétiens pensaient que, si Toranaga éliminait
Ishido et son influence au sein du Conseil des régents, il usurperait par la
même occasion toute la puissance à son seul profit. Une fois qu’il détiendrait
cette puissance, ils pensaient aussi qu’il se servirait des Édits d’expulsion
du Taikô pour chasser la Vraie Foi. Par contre, si Toranaga était éliminé, la
succession était assurée et la Très Sainte Mère l’Église pourrait prospérer. Il
regarda Toranaga quitter son dais et s’avancer.
« Bienvenue, Sire Ishido. Asseyez-vous là, je vous en
prie. » Toranaga montra d’un geste de la main l’unique coussin qui se
trouvait sous le dais. « J’aimerais que vous soyez à votre aise.
— Non, merci. » Ishido Kazunari était mince, le
visage dur et basané. Il avait un an de moins que
Toranaga. « Non, merci, Sire Toranaga. Je serais très gêné d’être
confortablement assis si vous ne l’étiez pas vous-même, neh ? Je
prendrais votre coussin, un jour. Pas aujourd’hui. »
Une vague de colère déferla parmi les Bruns, sous la menace
implicite d’Ishido. Mais Toranaga répliqua aimablement : « Vous
arrivez au bon moment. Je finissais justement d’interroger le nouveau barbare.
Tsukku-san, s’il vous plaît, dites-lui de se lever. »
Le prêtre s’exécuta. De sa place, il sentait la fureur
d’Ishido. En
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