Shogun
dehors du fait qu’il n’aimait pas les chrétiens, Ishido s’était
toujours élevé avec vigueur contre tous les Européens et voulait que l’empire
leur soit totalement fermé.
Ishido regarda Blackthorne avec un dégoût prononcé.
« On m’avait dit qu’il était laid, mais je ne réalisais pas à quel point.
La rumeur circule que c’est un pirate. Est-ce vrai ?
— Vous en doutez ? C’est aussi un menteur.
— Avant de le crucifier, laissez-le-moi une
demi-journée. Ça pourrait amuser l’héritier de le voir, avec la tête sur les
épaules. » Ishido éclata d’un rire gras. « On pourrait peut-être lui
apprendre à danser comme un ours. On pourrait alors le montrer à travers
l’empire : “Le Monstre de l’Est”. Il était vrai que
Blackthorne venait des mers orientales (à la différence des Portugais qui
venaient toujours du Sud, d’où leur nom de « barbares du Sud »), mais
Ishido sous-entendait simplement que Toranaga, qui dominait les provinces
orientales, était le véritable monstre.
Toranaga répondit par un sourire et fit comme s’il n’avait
pas compris. « Vous êtes un homme très spirituel, Sire Ishido, dit-il. Je
suis d’accord avec vous. Plus vite, le barbare sera liquidé, mieux se sera. Il
est arrogant, fort en gueule. Un animal bizarre en vérité. Mais un animal sans
valeur et sans aucune manière. Naga-san, fais venir quelques hommes et mets-le
avec les criminels de droit commun. Tsukku-san, dis-lui de les suivre.
— Capitaine-pilote, vous devez suivre ces hommes.
— Où m’emmène-t-on ? »
Le père Alvito hésita. Il était heureux d’avoir gagné, mais
son adversaire était courageux et avait une âme immortelle qui pouvait être
sauvée. « Vous êtes prisonnier, dit-il.
— Pour combien de temps ?
— Je ne sais pas, mon fils. Jusqu’à ce que sire
Toranaga en décide autrement. »
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Toranaga, tout en regardant le barbare quitter la salle,
abandonna à regret cette conversation surprenante pour en venir au problème
plus urgent d’Ishido.
Il s’était décidé à ne pas renvoyer le prêtre, sachant que
sa présence allait encore irriter Ishido. Il savait cependant que cette
présence constante pouvait également être très dangereuse. Moins il y a de gens
à savoir et mieux c’est, pensa-t-il. Est-ce que l’influence de Tsukku-san sur
les daimyôs chrétiens va s’exercer en ma faveur ou contre moi ? Je
lui aurais bien fait confiance, jusqu’à aujourd’hui. Mais il y a eu depuis
cette conversation avec le barbare tant de moments étranges ! Des moments
que je n’arrive pas à saisir.
Ishido esquiva volontairement les courtoisies habituelles et
en vint tout de suite au vif du sujet. « Je dois encore vous demander
quelle est la réponse que vous comptez donner au Conseil des régents ?
— Je dois vous répéter encore une fois qu’en tant que
président de ce Conseil, je ne juge pas la réponse nécessaire. J’ai contracté
quelques alliances familiales, mineures. Aucune réponse nécessaire.
— Vous avez fiancé votre fils Naga-san avec la fille de
sire Masamune. Vous avez marié l’une de vos petites-filles avec l’héritier de
sire Zataki. Une autre petite-fille au fils de sire Kiyama. Tous ces mariages
se font avec des seigneurs féodaux ou avec leurs parents proches. Ils ne sont
donc absolument pas mineurs et sont absolument contraires aux ordres de feu
notre maître.
— Notre maître, le Taikô, est mort depuis un an. Malheureusement. Oui, je déplore la mort de mon beau-frère.
Je préférerais qu’il soit toujours vivant et qu’il dirige les destinées de
l’empire, ajouta Toranaga plaisamment, retournant le couteau dans la plaie. Si
mon beau-frère était vivant, pas de doute qu’il aurait approuvé ces unions
familiales. Ses ordres ne s’appliquaient qu’à des mariages mettant en danger la
succession de sa maison. Je n’inquiète nullement sa maison ou mon neveu,
Yaemon, l’héritier. Je suis satisfait en tant que seigneur du Kwanto. Je ne
recherche pas d’autre territoire. Je suis en paix avec mes voisins et souhaite
que la paix qu’il avait instaurée continue. Par Bouddha, je ne serai pas celui
qui rompt la paix.
— Mais vous allez entrer en guerre ?
— Un homme sage se prépare toujours à la trahison, neh ? Il y a de mauvais hommes dans chaque province. Certains occupent de hauts
postes. Nous connaissons tous deux les ravages incommensurables qu’exerce la
trahison
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