Shogun
dont les descendants ont été décimés.
— Tu suggérerais ça si tu étais l’un des régents ?
— Non. De toute façon, je ne suis pas l’un des régents
et j’en suis fort aise. Je suis seulement votre vassal… J’ai librement choisi,
il y a un an.
— Pourquoi ? » Toranaga
ne le lui avait jamais demandé.
« Parce que vous êtes un homme, parce que vous êtes
Minowara et parce que vous agissez avec sagesse. Ce que vous avez dit à Ishido
était vrai : nous ne sommes pas un peuple qui doit être gouverné par un
Conseil. Nous avons besoin d’un chef. Qui, parmi les cinq régents, aurais-je dû
choisir ? Sire Onoshi ? Oui, c’est un homme très sage, un bon
général. Mais il est chrétien, infirme, et sa peau est rongée à ce point par la
lèpre qu’il pue à cinquante pas. Sire Sugiyama ? C’est le daimyô le
plus riche de tout le pays, sa famille est aussi ancienne que la vôtre. Mais il
retourne constamment sa veste. C’est un homme versatile et lâche. Nous le
connaissons tous depuis une éternité. Sire Kiyama ? Sage, courageux. Un
grand général, un vieux camarade. Mais il est chrétien, lui aussi, et je crois que
nous avons assez de dieux dans ce pays des dieux pour ne pas avoir l’insolence
d’en honorer un seul. Ishido ? Je déteste ce rejeton de paysan, traître,
depuis que je le connais et, si je ne l’ai jamais tué, c’est uniquement parce
qu’il était le chien du Taikô. » Son visage tanné s’éclaira. « Vous
voyez, Yoshi Toranaga-Noh-Minowara, vous ne m’avez pas laissé le choix.
— Et si je ne vous écoutais pas ? Si je manipulais
le Conseil des régents ? Même Ishido ? Et si je portais Yaemon au
pouvoir ?
— Toutes vos décisions sont sages. Mais tous les
régents aimeraient vous voir mort. Voilà la vérité. Je suis pour la guerre
immédiate. Immédiate. Avant qu’ils vous isolent ou, plus probablement,
qu’ils vous assassinent. »
Toranaga pensa à ses ennemis. Ils étaient nombreux et
puissants. Il lui faudrait trois semaines pour regagner Yedo en empruntant la
route du Tokaïdô qui suivait la côte et reliait Yedo à Osaka. Y aller en bateau
était plus dangereux. Cela prendrait peut-être même plus de temps, sauf en
galère, car elle pouvait voyager contre vents et marées.
Toranaga réfléchit encore au plan qu’il avait dressé. Il n’y
trouvait aucun défaut.
« J’ai entendu dire secrètement hier que la mère
d’Ishido était allée voir son petit-fils à Nagoya. « Hiro-matsu prêta
instantanément attention à ce que disait Toranaga. Nagoya était une grande
ville État, neutre par rapport aux différents partis. « La dame devrait
être invitée par l’abbé au temple Johji. Pour voir les arbres en fleurs.
— Sur-le-champ, dit Hiro-matsu, par pigeon voyageur. Les
fleurs seront déjà un peu fanées, mais elle y sera demain. Je ne doute pas que
la Vénérable Dame veuille rester quelques j ours. C’est si
reposant. Son petit-fils devrait l’accompagner, neh ? » Le temple Johji était renommé pour ses cerisiers en fleur, ses moines
bouddhistes zen et sa fidélité à Toranaga qui avait payé les frais de
construction de l’édifice et qui en assurait la bonne conservation.
« Non. Elle toute seule. Cela rendrait l’“invitation” de l’abbé par trop évidente. Autre chose : envoie un message codé à mon
fils, Sudara : « Je quitte Osaka dès que le Conseil aura clos sa
« session, dans quatre jours. » Envoie-le par courrier et confirme-le
par pigeon demain. »
Hiro-matsu ne cacha pas sa désapprobation. « Puis-je
faire venir dix mille hommes à Osaka tout de suite ?
— Non. Les hommes qui sont ici sont amplement
suffisants. Merci, mon vieil ami. Je crois que je vais aller dormir. »
Hiro-matsu se leva et étira ses bras.
« Combien de temps le barbare restera-t-il en
prison ? » demanda Toranaga. Hiro-matsu ne se retourna pas.
« Tout dépend de sa force combative.
— Merci. Bonne nuit, Hiro-matsu. » Quand il fut
certain d’être seul, il dit doucement : « Kiri-san ? »
La porte intérieure s’ouvrit. Sa favorite entra et
s’agenouilla.
« Envoie un message immédiat à Sudara : “Tout va bien. ” Envoie-le par pigeon. Lâches-en trois, en même
temps, à l’aube. Refais la même chose à midi.
— Oui, Sire. » Elle sortit.
Un pigeon franchira bien les lignes, pensa-t-il. Quatre au
moins tomberont sous les flèches, les faucons ou les espions. Le
Weitere Kostenlose Bücher