Shogun
message ne
signifiera de toute façon rien pour Ishido, à moins qu’il ne soit parvenu à
déchiffrer notre code. Seules quatre personnes le connaissaient. Son fils aîné,
Noboru. Son cadet, l’héritier, Sudara. Kiri et lui-même. Le message codé
voulait dire : « Ne tiens pas compte des autres messages. Active plan
numéro cinq. » Il avait été convenu que le plan numéro cinq comportait
l’ordre de rassembler tous les membres du clan Yoshi et tous leurs conseillers
privés dans la capitale, à Yedo, et de les tenir sur le pied de guerre. Le mot
codé qui voulait dire guerre était « Ciel pourpre ». Son assassinat,
sa capture rendaient le Ciel pourpre inexorable et déclenchaient la guerre – une attaque immédiate sur Kyoto conduite par Sudara
avec to utes ses légions permettrait de prendre possession de la ville et
de l’empereur-marionnette. Cette opération serait couplée avec des
insurrections dans cinquante provinces. Celles-ci, méticuleuses et secrètes,
avaient été préparées depuis des années pour parer à cette éventualité. Toutes
les cibles, cols, ponts, châteaux et villes, avaient été repérées depuis
longtemps. Il y avait assez d’armes, d’hommes et de détermination pour mener
l’opération à bien. C’est un bon plan, pensa Toranaga. Mais il échouera si tu
ne le diriges pas toi-même. Sudara échouera. Tu es le seul qui puisse faire
réussir Ciel pourpre, peut-être. Le Taikô aurait pu gagner. Mais il vaudrait
mieux ne pas avoir recours à Ciel pourpre.
1 4
Ce fut une aube épouvantable pour Blackthorne. Il se fit
prendre dans une rixe avec un détenu. Pour une assiette de gruau. Les deux
hommes étaient nus. Chaque fois qu’un prisonnier était enfermé dans cette vaste
geôle, on le déshabillait. Un homme vêtu tenait trop de place et ses vêtements
pouvaient cacher des armes.
Cette salle à l’atmosphère suffocante et fétide faisait dix
pas de long sur dix de large. Elle était remplie de Japonais nus et en sueur.
La lumière ne passait presque pas à travers les planches qui servaient de murs
et de plafond.
Blackthorne pouvait à peine se tenir debout. Sa peau était
marbrée et griffée par les ongles cassés de son assaillant et par les échardes.
Il lui donna un coup de tête, le saisit à la gorge et le cogna contre les
planches jusqu’à ce qu’il tombe, assommé, puis, du pied, rejeta le corps de
côté.
À l’aube, on leur avait apporté à manger. Les gardes leur
avaient distribué les assiettes de gruau et l’eau, à travers un guichet.
C’était la première ration qu’ils recevaient depuis qu’il avait été enfermé là,
au crépuscule le jour précédent. La queue qui s’était formée au moment de la
distribution était étrangement calme. S’il n’y avait pas de discipline,
personne ne mangeait. C’est alors que cet homme simiesque, pas rasé, sale e t couvert de poux, lui avait flanqué un coup dans les
reins et lui avait pris sa ration. Les autres attendaient pour voir ce qui
allait se passer. Mais Blackthorne avait assisté et participé à trop de
bagarres dans les beuveries de marins pour se laisser achever d’un seul coup.
Il feignit le désarroi puis décocha un coup vicieux. La bagarre était alors
devenue générale.
Dans son coin, Blackthorne vit avec surprise qu’un des
hommes lui apportait une assiette de gruau et de l’eau, ration qu’il croyait
perdue. Il la prit et remercia l’homme.
Les coins étaient des emplacements de choix. Un madrier, sur
le sol de terre battue, divisait la pièce dans le sens de la longueur. Dans
chaque section ainsi constituée, il y avait trois rangées d’hommes. Deux
rangées se faisaient face. La troisième était installée au milieu. Seuls les
vieux et les malades occupaient cette rangée. Quand les hommes forts des autres
rangées voulaient étendre leurs jambes, ils devaient le faire en écrasant ceux
du milieu.
Il ne pouvait presque rien voir dans cette obscurité
étouffante. Le soleil cuisait le bois. Il y avait des latrines, mais l’odeur
était intenable. De temps à autre, des gardes ouvraient la porte et appelaient
des noms. Les hommes saluaient leurs camarades et sortaient. Mais d’autres
venaient aussitôt les remplacer. Tous les prisonniers semblaient avoir accepté
leur sort et essayaient de vivre, du mieux qu’ils pouvaient, en paix avec leurs
voisins immédiats.
Un homme contre le mur se mit à vomir. On le poussa
rapidement vers la rangée centrale
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