Shogun
où il s’effondra, à demi suffocant, sous le
poids des jambes. Blackthorne devait fermer les yeux et lutter pour contrôler
sa terreur et sa claustrophobie, Salopard de Toranaga. J’espère avoir
l’occasion de te mettre là un de ces jours.
Salopards de gardes ! Il s’était débattu la nuit dernière
quand ils lui avaient dit de se déshabiller. Il s’était débattu parce qu’il
refusait simplement de se rendre passivement.
Il y avait quatre cellules de ce genre. Elles se trouvaient
à la lisière de la ville, dans un endroit pavé, derrière une enceinte de
pierre. De l’autre côté des murs, un espace de terre battu e entouré
de cordes s’étendait près de la rivière. Cinq croix y étaient érigées.
Sans qu’on s’en aperçoive, le type que Blackthorne avait
assommé reprit conscience. Il était dans la rangée du milieu. Du sang s’était
coagulé sur l’un des côtés de son visage. Son nez était écrasé. Il bondit
soudainement, oubliant tous les hommes qui étaient sur son chemin. Blackthorne
le vit venir au dernier moment, para le coup et le fit tomber comme une masse.
L’un des prisonniers, une armoire à glace, lui flanqua une manchette vicieuse à
la base du cou. Il y eut un bruit sec. La tête de l’homme roula sur le côté. Le
bouledogue releva la tête à moitié rasée, en la prenant par les cheveux
infestés de poux, et la laissa retomber.
Il regarda Blackthorne, dit quelque chose de guttural, rit
de sa bouche édentée et haussa les épaules.
« Merci », dit Blackthorne en essayant de
reprendre sa respiration, heureux que son assaillant n’ait pas eu l’adresse de
Mura dans un combat à mains nues. « Mon noum Anjin-san, dit-il en se
montrant du doigt ; toi ?
— Ah, so desu ! Anjin-san ! » Le bouledogue se montra du doigt et dit en haletant: « Minikui.
— Minikui-san ?
— Hai. »
Ils relevèrent le cadavre et le mirent en tas avec les
autres. Quand ils revinrent dans leur coin, personne n’avait pris leur place.
Blackthorne se sentait sale et horrible, à deux doigts de la mort. Ne
t’inquiète pas, se dit-il. Tu as encore du chemin à parcourir avant de mourir…
Non, je ne pourrai pas vivre longtemps dans ce trou affreux. Nous sommes trop
nombreux. Ô Seigneur Dieu, laissez-moi sortir ! Pourquoi est-ce que la
pièce tangue ? Est-ce Rodrigues qui remonte des profondeurs avec des
pinces pour m’arracher les yeux ? Je ne peux pas respirer, je ne peux pas
respirer. Il faut que je sorte d’ici. Je vous en prie, je vous en prie, ne
mettez plus de bois dans le feu. Qu’est-ce que tu fais là, Croocq, mon
gars ? Je croyais qu’ils t’avaient laissé partir. Je croyais que tu étais
de retour au village. Nous sommes au village, ici ? Comment y sommes - nous arrivés ? Il fait si frais et il y a cette fille si
belle, près du quai, mais pourquoi l’emmènent-ils vers le rivage ? Le
samouraï nu, Omi, est là qui rit. Pourquoi sur le sable, pourquoi y a-t-il des taches de sang sur le sable ? Ils sont tous
nus, moi aussi, villageois et enfants, et puis il y a le chaudron et nous sommes dans le chaudron, et non, plus de bois. Je me
noie dans des immondices liquides. Ô mon Dieu, mon Dieu, mon Dieu, je me meurs,
je me meurs, je me meurs. In nomine Patris et Filii et Spiritus sancti. C’est
le dernier sacrement et tu es catholique. Nous sommes tous catholiques et vous
brûlerez ou vous vous noierez dans l’urine et vous brûlerez dans le feu, le
feu, le feu…
Il sortit de son cauchemar. Ses oreilles explosaient sous la
finalité du dernier sacrement. Il ne sut pas pendant un instant s’il était
éveillé ou endormi, car ses oreilles entendaient à nouveau, incrédules, la
bénédiction latine et ses yeux ne voulaient pas croire ce qu’ils voyaient :
un vieil épouvantail ridé d’Européen penché au-dessus de la rangée centrale, à
quinze pas de lui. L’homme édenté avait de longs cheveux sales, une barbe
emmêlée et les ongles cassés. Il levait sa main comme une serre d’oiseau de
proie et brandissait son crucifix de bois au-dessus du corps à demi enfoui. Un
rayon de soleil l’éclaira un instant. Puis il ferma les yeux du mort, marmonna
une prière et releva la tête. Il vit Blackthorne qui le dévisageait.
« Sainte Mère de Dieu, êtes-vous réel ? croassa
l’homme dans un espagnol rugueux et paysan, tout en se signant.
— Oui, dit Blackthorne en espagnol. Qui
êtes-vous ? »
Le vieil homme se fraya un
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