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Si c'est un homme

Si c'est un homme

Titel: Si c'est un homme Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Primo Levi
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    Qu'est-ce qu'il y a comme soupe aujourd'hui ?
    De quelle humeur était le Kapo ? Et l'histoire des vingt-cinq coups de cravache à Stem Quel temps faisait-il dehors ? Est-ce qu'il avait lu le journal ? Qu'est-ce que ça sentait à la cuisine des civils ? Quelle heure était-il ?
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    Jean était très aimé au Kommando IL faut savoir que le poste de Rkolo représente un échelon déjà très élevé dans la hiérarchie des prominences : le Rkolo (qui en général n'a pas plus de dix-sept ans) n'est pas astreint à un travail manuel, il a la haute main sur les fonds de marmite et peut passer ses journées à côté du poêle «
    c'est pourquoi » il a droit à une demi-ration supplémentaire, et il est bien placé pour devenir l'ami et le confident du Kapo, dont il reçoit officiellement les vêtements et les souliers usagés. Or, Jean était un Rkolo exceptionnel. Il joignait à la ruse et à la force physique des manières affables et amicales. Tout en menant avec courage et ténacité son combat personnel et secret contre le camp et contre la mort, il ne manquait pas d'entretenir des rapports humains avec ses camarades moins privilégiés, et de plus il avait été assez habile et persévérant pour gagner la confiance d'Alex, le Kapo.
    Alex avait tenu toutes ses promesses. Il avait amplement confirmé sa nature de brute violente et sournoise, sous une solide carapace d'ignorance et de bêtise sauf pour ce qui était de son flair et de sa technique de garde-chiourme consommé. Il ne perdait pas une occasion de vanter la pureté de son sang et la supénoné du triangle vert, et affichait un profond mépris pour ses chimistes loqueteux et affamés. « Ihr Doktoren, Ihr Intelhgenten ! », ricanait-il chaque jour en nous voyant nous bousculer, gamelle tendue, à la distribution de la soupe. Avec les Meister civils, il se montrait extrêmement empressé et obséquieux, et avec les SS il entretenait des rapports de cordiale amitié.
    Il était visiblement intimidé par le registre du Kommando et le petit rapport quotidien des travaux et prestations, et c'est par ce biais que Rkolo s'était rendu indispensable Les travaux d'approche avaient été longs,
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    prudents et minutieux, et l'ensemble du Kommando en avait suivi les progrès pendant tout un mois en retenant son souffle, mais finalement la défense du porc-épic avait cédé, et Rkolo s'était vu confirmer dans sa charge à la satisfaction de tous les intéressés.
    Bien que Jean n'abusât pas de sa position, nous avions déjà pu constater qu'un mot de lui, dit au bon moment et sur le ton qu'il fallait, pouvait faire beaucoup
    ; plusieurs fois déjà il avait pu ainsi sauver certains d'entre nous de la cravache ou de la dénonciation aux SS.
    Depuis une semaine, nous étions amis : nous nous étions découverts par hasard, à l'occasion d'une alerte aérienne, mais ensuite, pris par le rythme impitoyable du Lager, nous n'avions pu que nous dire bonjour en nous croisant aux latrines ou aux lavabos.
    Accroché d'une main à l'échelle de corde ballottante, il me désigna du doigt :
    — Aujourd'hui c'est Primo qui viendra avec moi chercher la soupe.
    La veille encore, c'était Stem l'accompagnateur, un Transylvanien affligé d'un strabisme ; mais il était tombé en disgrâce à la suite d'une sombre histoire de balais volés à l'entrepôt, et Pikolo avait réussi à me faire adopter comme aide à l’ « Essenholen », la corvée quotidienne de soupe.
    Il se glissa dehors, et moi je le suivis, clignant des yeux dans la splendeur du jour. Dehors l'air était tiède, et sous le soleil il montait de la terre une odeur légère de peinture et de goudron qui me rappelait une plage d'été de mon enfance. Pikolo me donna un des deux bâtons et nous nous mîmes en route sous le ciel limpide de juin.
    Je voulais le remercier, mais il m'interrompit : ce n'était pas la peine. On voyait les Carpates couvertes de
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    neige. Je respirai l'air frais, je me sentais étonnamment léger.
    — Tu es fou de marcher si vite. On a le temps, tu sais. 

    Pour aller chercher la soupe, il fallait faire un kilomètre, puis retourner avec la marmite de cinquante kilos enfilée sur les bâtons. C'était un travail assez fatigant, mais qui incluait un parcours agréable à l'aller, puisqu'on n'était pas chargé, et offrait aussi l'occasion non négligeable d'approcher les cuisines.
    Nous ralentîmes l'allure. Pikolo n'était pas sot : il avait

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