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Si c'est un homme

Si c'est un homme

Titel: Si c'est un homme Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Primo Levi
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cette mobilisation spontanée de toutes les facultés logiques et de toutes les notions qui faisait tant envie à mes camarades.
    L'examen se passe bien. Au fur et à mesure que je m'en rends compte, j'ai l'impression que mon corps grandit. Maintenant, le Doktor Pannwitz s'informe du sujet de ma thèse. Je dois faire un effort violent pour rappeler des souvenirs aussi immensément lointains : c'est comme si je cherchais à évoquer les événements d'une vie antérieure.
    Quelque chose me protège. L'Aryen aux cheveux blonds et à la confortable existence s'intéresse tout
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    particulièrement à mes pauvres vieilles Mesures de constantes diélectriques : il me demande si je sais l'anglais, me montre le volume de Gattermann ; et cela aussi me semble absurde et invraisemblable, qu'il y ait ici, de ce côté des barbelés, un Gattermann en tous points identique à celui sur lequel j'étudiais, en quatrième année, quand j'étais en Italie, chez moi.
    L'épreuve est terminée : l'excitation qui m'a soutenu pendant toute la durée de l'examen tombe d'un seul coup, et je contemple, hébété et amorphe, cette pâle main de blond qui écrit mon destin en signes incompréhensibles, sur la page blanche.
    — Los, ab !
    Alex rentre en scène, me voilà de nouveau sous sa juridiction. Il salue Pannwitz en claquant les talons et obtient en retour un imperceptible battement de paupières. Je tâtonne un instant à la recherche d'une formule de congé appropriée, mais en vain : en allemand, je sais dire manger, travailler, voler, mourir ; je sais même dire acide sulfurique, pression atmosphérique et générateur d'ondes courtes, mais je ne sais vraiment pas comment saluer un personnage important.
    Nous revoici dans l'escalier. Alex descend les marches quatre à quatre : il porte des chaussures de cuir parce qu'il n'est pas juif, il a le pied léger comme un démon de Malebolge. D'en bas, il se retourne et me regarde d'un œil torve tandis que je descends bruyamment, empêtré dans mes énormes sabots dépareillés, agrippé à la rampe comme un vieux.
    Apparemment, ça a bien marché, mais ce serait de la folie de penser que le tour est joué. Je connais déjà suffisamment le Lager pour savoir qu'il ne faut jamais faire de prévisions, surtout si elles sont optimistes. Ce
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    qui est sûr, par contre, c'est que j'ai passé une journée sans travailler, donc que j'aurai un peu moins faim cette nuit, et ça c'est un avantage concret, un point d'acquis.
    Pour rentrer à la Buda, il faut traverser un terrain vague encombré de poutres et de treillis métalliques empilés les uns sur les autres. Le câble d'acier d'un treuil nous barre le passage ; Alex l'empoigne pour l'enjamber, mais, « Donnerwetter ! » , le voilà qui jure en regardant sa main pleine de cambouis. Entre-temps je suis arrivé à sa hauteur : sans haine et sans sarcasme, Alex s'essuie la paume et le dos de la main sur mon épaule pour se nettoyer ; et il serait tout surpris, Alex, la brute innocente, si quelqu'un venait lui dire que c'est sur un tel acte qu'aujourd'hui je le juge, lui et Pannwitz, et tous ses nombreux semblables, grands et petits, à Auschwitz et partout ailleurs.
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    LE CHANT D'ULYSSE
    Nous étions six à récurer et nettoyer l'intérieur d'une citerne souterraine La lumière du jour ne nous parvenait qu'à travers l'étroit portillon d'accès. C'était un travail de luxe car personne ne nous surveillait, mais il faisait froid et humide. La poussière de rouille nous brûlait les yeux et nous laissait dans la bouche et la gorge comme un goût de sang
    L'échelle de corde qui pendait du portillon oscilla : quelqu'un venait. Deutsch éteignit sa cigarette, Goldner réveilla Sivadjan, tout le monde se remit à racler énergiquement la sonore paroi de tôle.
    Ce n'était pas le Vorarbeiter, ce n'était que Jean, le Rkolo de notre Kommando. Jean était un étudiant alsacien. Bien qu'il eût déjà vingt-quatre ans, c'était le plus jeune Haftlung du Kommando de Chimie. Et c'est pour cette raison qu'on lui avait assigné le poste de Pikolo, c'est-à-dire de livreur-commis aux écritures, préposé à l'entretien de la baraque, à la distribution des outils, au lavage des gamelles et à la comptabilité des heures de travail du Kommando.
    Jean parlait couramment le français et l'allemand, dès qu'on reconnut ses chaussures en haut de l'échelle, tout le monde s'arrêta de racler :
    Also, Rkolo, was gibt es Neues

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