Bücher online kostenlos Kostenlos Online Lesen
Si je meurs au combat

Si je meurs au combat

Titel: Si je meurs au combat Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Tim OBrien
Vom Netzwerk:
et Blyton ne lâche pas Kline d’une semelle tout au long des manœuvres.
    On marche pour retourner au dortoir, toujours en train de chanter.
     
    Si je meurs au combat,
    Mettez-moi dans une boîte
    Et renvoyez-moi à la maison.
    Et si je meurs sur le front russe,
    Enterrez-moi avec une chatte de Russe.
    Un deux, un deux !
     
    On marche en direction du terrain de baïonnette, on marche dans des forêts toutes vertes, sous cette pluie qui n’en finit jamais de tomber, dans les puissantes odeurs de terreau, de feuilles, de pins, dans toutes les bonnes odeurs de la nature, on marche comme des jouets tout en bas de cette montagne blanche qui représente la liberté, la montagne Rainier.
    Blyton nous éduque et se fout de notre gueule. Debout avec les jambes bien écartées sur une plate-forme surélevée, il nous fait un cours sur la baïonnette. Coude gauche bloqué, main gauche sur le bois, juste au-dessous du viseur de notre fusil, main droite en haut de la crosse, avant-bras droit qui appuie bien fort le long de la crosse, avance la jambe gauche, taillade-moi ça d’un coup de lame. Et vas-y qu’on donne des coups dans tous ces ventres imaginaires, parfois vers la gorge.
    — Les Niakoués, c’est des petites merdes, gueule Blyton. Si vous voulez leur faire la peau, faut taper sous la ceinture. Accroupi, enfoncez-moi ça. Bon, maintenant, soldats ! Dites-moi voir ! C’est quoi, l’esprit de la baïonnette ?
    Il hurle sa question de toutes ses forces, la fait sortir avec la puissance de la poésie de Sandburg, comme un coup de tonnerre.
    — Levez votre fusil, lame apposée, levez-le bien au-dessus de la tête, comme si vous agitiez un drapeau ou un trophée, agitez-le avec amour, et gueulez-moi ça jusqu’à vous en casser la voix : « Sergent instructeur, l’esprit de la baïonnette, c’est de tuer ! Tuer ! »
     
    Je connais une fille qui s’appelle Éléonore,
    Elle veut pas le faire, mais sa sœur est d’accord.
    Ma chérie, oh, ma petite poupée.
     
    Je connais une fille qui s’habille en noir,
    Elle gagne sa vie sur un plumard.
    Ma chérie, oh, ma petite poupée.
     
    Je connais une fille qui s’habille en gris,
    Elle gagne sa vie sur un lit.
    Ma chérie, oh, ma petite poupée.
     
    L’amour, dans le monde, ça n’existe pas. Les femmes, c’est des Niakoués. Les femmes, elles sont mauvaises. Des créatures de la famille des communistes, des jaunes, des hippies. On reprend la marche pour apprendre à faire du corps à corps. Blyton fait un sourire vicieux, se fout de nous et beugle sa petite comptine : «   Si tu veux sauver ta peau, t’as intérêt d’être agile, mobile et hostile. » On chante les mots : a-gile, mo-bile, hos-tile. On les fait sonner. On reprend la marche tout en continuant à chanter.
     
    J’en suis pas sûr mais on m’a raconté
    Que les chattes des Eskimos sont glacées.
    Est-ce que j’ai raison, est-ce que j’ai tort ?
    Est-ce que j’y vais fort ?
    Un deux, un deux !
     
    La compagnie se met en rang pour se faire passer en revue. Le chef du bataillon arrive avec ses lunettes fumées, et Blyton et les autres sont à la fois bien droits et détendus. On nous a expliqué qu’il fallait répondre par « Non, colonel » quand il allait nous demander si l’on avait des problèmes à régler, si l’on avait à se plaindre ou si l’on avait besoin de quoi que ce soit. Quand il nous demandait si on avait assez à bouffer et si on dormait suffisamment, on était censé répondre : « Oui, colonel. » C’était simple. « Non, colonel. » « Oui, colonel. »
    Ils nous fourrent dans les dortoirs à dix heures. Le chef de section nous file tout le matos nécessaire pour le nettoyage du soir. Il promet de nous faire cadeau d’une demi-heure de sommeil, le matin, et on sait bien qu’il ment, mais ça n’empêche qu’on cire le plancher et nos pompes, et puis qu’on donne encore un coup de chiffon à nos casiers.
    Blyton arrive, se met à déblatérer ses insultes, éteint les lumières, et vers onze heures, toutes les grosses brutes et les flippés de service se mettent à ronfler et à pioncer. C’est un enclos à bétail. Ça bouge et ça gigote dans tous les sens en dormant ou en s’endormant, les hommes sont des animaux surexcités et en cage. Un gigantesque rythme s’empare du dortoir, un cœur et des poumons humains qui gonflent et qui murmurent ; on dirait que le plancher se met à bouger, à monter et à descendre. Tu te

Weitere Kostenlose Bücher