Si je meurs au combat
professionnel et, sur le terrain, c’était le chef idéal. C’était ce genre de folie-là, celle du gardien parfait de la République de Platon. Son attitude et sa manière de faire donnaient l’impression d’être parfaitement moulées sur ce que l’on pouvait attendre du personnel de la CIA ou du KGB.
Ce qui ne revient pas à dire que Mark le Cinglé se prenait pour un assassin. Mais c’était sa manière de faire et il jouait le jeu. C’était un grand maigre à la démarche rapide, silencieuse et assurée. Il portait un uniforme camouflé, pas à cause du camouflage, juste parce qu’il aimait ça. Il trimballait un fusil à pompe – moi qui croyais que cette arme avait été interdite dans les guerres internationales – et rien que ça, ça montrait à quel point c’était un pro, parce que pour utiliser un fusil à pompe de manière efficace, il faut faire preuve à la fois de courage, d’habileté et de confiance en soi. Il s’agit d’une arme qui n’est ni précisé ni mortelle lorsqu’on se trouve à plus de soixante mètres. Si bien qu’elle met en valeur l’habileté de son utilisateur : le mec est obligé de se rapprocher progressivement de sa proie avant de pouvoir tirer, jusqu’à ce qu’il soit tellement près qu’il puisse voir la rétine de l’ennemi et le teint de sa peau. Le fait de s’approcher de si près, cela implique du courage et de la confiance en soi. Le fusil à pompe n’est pas une arme automatique. Tu dois toucher ta cible une seule fois, du premier coup, et il faut que ce coup la tue. Un jour, Mark le Cinglé a dit qu’après la guerre, et si l’Amérique n’était plus en guerre avec aucun pays, peut-être qu’il tenterait une carrière de mercenaire en Afrique.
Il ne souhaitait pas du tout se retrouver sur un champ de bataille. Mais l’idée de devoir se battre ne lui faisait ni chaud ni froid. Tout au long de ce premier mois, en vacances sur ces plages tranquilles, il a fait précisément ce que la mission impliquait : quelques patrouilles, quelques embuscades, rester sur le qui-vive, s’assurer qu’il n’y avait aucun signe annonciateur de bombardements sur Chu Lai. Mais il en rajoutait pas. Mark le Cinglé, c’était pas un fanatique. C’était pas un excité de service ni un mec à chercher la baston. Son comportement correspondait plus ou moins à une sorte d’éthique aristotélicienne : faire la guerre est un boulot à la fois nécessaire et naturel. Naturel, oui, mais c’est aussi un boulot, et non une croisade :
— La chasse est une partie intégrante de cet art ; et on peut pratiquer la chasse – pas seulement contre les animaux sauvages, mais aussi contre les êtres humains pour lesquels la nature a réservé le sort d’être commandés par d’autres et qui refusent malgré tout d’obéir aux ordres – parce qu’une guerre de ce genre est naturellement juste.
Donc, comme Aristote, Mark le Cinglé croyait en cette vertu de la modération, et il la mettait en pratique, si bien qu’il faisait ce qui était nécessaire en temps de guerre, nécessaire pour un officier et un chef de section qui faisait la guerre, il s’en tenait à cela sans en rajouter.
Les jours de grosses chaleurs, il venait se mettre à l’ombre avec nous, menait quelques patrouilles et quelques embuscades, flirtait avec les filles qui nous suivaient, et comme il ne cherchait à maintenir que le minimum vital de discipline, il nous laissait profiter des vacances. Pendant qu’on se reposait, à l’ombre, avec les gosses, on apprenait un peu le vietnamien, et eux, de leur côté, ils apprenaient des mots comme « fils de pute », « Niakoué », « Bridé » ou « nichon ». Un peu comme à l’école.
C’était pas si mal, comme guerre, jusqu’à ce qu’on envoie une patrouille de nuit dans un village qui s’appelait Tri Binh 4. Mark le Cinglé était en tête et il n’avait que son fusil à pompe et cinq gars. Ils étaient partis depuis une heure. Et c’est là qu’il y a eu des coups de feu, suivis d’un appel radio signalant la présence de soldats viêt-congs en train de fumer et de discuter à côté d’un puits. Dix minutes plus tard, ils étaient sortis du village et de retour au bercail.
Le Kid en était fou de joie :
— Bon Dieu ! Ils étaient juste là, aucune protection, en plein milieu du bled, dans une petite clairière, le cul par terre ! Merde alors, j’en ai presque fait dans mon froc ! Dix gars, juste
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