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Si je meurs au combat

Si je meurs au combat

Titel: Si je meurs au combat Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Tim OBrien
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tête de cette embuscade.
    Il a demandé aux chefs de groupe s’ils avaient des questions, mais tous avaient de l’expérience et personne n’a dit mot.
    — Bon, alors ça ira comme ça. On va décoller à minuit ou un peu plus tard. Emportez un bon paquet de mines Claymore. Et bon Dieu, oubliez pas les flingues. Aussi, dites à tous les gars de prendre une paire de grenades Pas de tire-au-cul. Faut que ça saigne.
    Il faisait nuit noire, ni étoile, ni lune. On était assis autour de nos trous par groupes de deux, trois ou quatre, et certains marmonnaient que ça foutait la poisse de faire des embuscades quand il faisait aussi noir que ça. En règle générale, on faisait semblant, on envoyait les coordonnées fictives de l’embuscade au quartier général, et puis on laissait tomber. Mais cette fois, Mark le Cinglé semblait vraiment vouloir tenter le coup, et il n’y avait pas moyen de le faire changer d’avis. À minuit, les chefs de groupe ont commencé à passer de trou en trou pour réveiller les gars. On s’est accroché des grenades à la ceinture. On a balancé nos casques dans les trous – ils gênaient, la nuit, déformaient tout ce qu’on entendait, trop lourds, et si on en venait, à un combat de nuit, ils nous empêchaient de bien viser. On les a donc remplacés par des chapeaux de brousse, certains sont même partis nu-tête. Un gars sur trois a embarqué une mine Claymore. On a essuyé la terre qu’il y avait sur nos fusils, on a bu un coup de flotte et pissé dans l’herbe, et puis on s’est couché sur le dos et on a attendu.
    — Quand on attend, comme ça, murmure Chip, ce que je déteste c’est de voir la nuit tomber et de savoir que je vais devoir y aller. Je veux pas me faire dégommer dans le noir.
    Quand Mark le Cinglé nous a fait décoller, direction l’obscurité, il faisait lourd. La nature n’émettait pas le moindre bruit. Plus d’oiseau, plus de vent, plus de pluie, plus de bruissement d’herbe, plus de grillon. On avançait en plein silence, mais nous on faisait un sacré bruit. Avec la ferraille qui retentissait, les gourdes qui se balançaient, les brindilles qui se brisaient et qui braillaient notre nom, l’eau qui ballottait : on marchait comme des géants dans cette nuit noire. Mark le Cinglé nous a fait signe de nous arrêter. Il parlait à deux ou trois mecs à la fois, et quand ça a été mon tour, il a chuchoté qu’on avait intérêt à la mettre en veilleuse, que lui, en tout cas, il avait pas envie de crever ce soir-là. Mais ça n’y a rien changé.
    Mark le Cinglé nous a fait traverser une rizière et nous a fait prendre un chemin de terre étroit et sinueux. Le chemin faisait tout le tour d’un village. Un chien s’est mis à aboyer. Des voix ont commencé à retentir dans les paillotes, peut-être bien des parents qui disaient à leurs mômes de rester allongés, parce qu’ils pressentaient un danger, comme nous, ce danger qui nous paralysait, tous les vingt, nous, les intrus. On a fait le tour du village et on a foutu le camp. Les aboiements des chiens ont encore duré pendant une vingtaine de minutes, faisant des échos, là, sur la rizière, et nous suivant pendant qu’on bouclait le croisement des deux chemins.
    L’une des idées les plus ignobles et les plus persistantes qui te trottent dans la tête, quand tu marches de nuit au Viêtnam, c’est la trouille de te perdre, de te retrouver séparé des autres et de devoir rester tout seul dans cette campagne à la fois flippante et hantée. Il faisait nuit noire. On marchait en file indienne, à peut-être trois mètres les uns des autres. Mark le Cinglé nous a fait passer par un chemin de dingue qui tournait dans tous les sens. On a quitté la route, à travers un paquet de branches, à travers des herbes et des bambous enchevêtrés, on zigzaguait dans des cimetières remplis de Vietnamiens morts qui reposaient, là, sous des monticules de terre et d’argile en forme de cônes. Le gars de devant et le gars de derrière étaient les seuls garants de notre sécurité et de notre raison. On suivait le type de devant comme un aveugle suit son chien, comme Dante suivait Virgile jusqu’au bout de l’Enfer, et on priait pour qu’il se soit pas perdu, pour qu’il ait pas perdu le contact du gars de devant. On contractait les muscles autour des globes oculaires et on regardait avec vigilance droit devant nous. On se faisait mal à force de fixer le dos du type devant. On plissait

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