Si je meurs au combat
serait obligé d’aller lui-même aux renseignements auprès de quelqu’un d’autre. Johansen se contentait de hausser les épaules.
Quatre jours avant la fin du mois, ils nous ont fait déguerpir de LZ Minutemen. Ils nous ont filé trois jours de repos à Chu Lai, une base militaire gigantesque et où l’on était en sécurité, au bord de la mer de Chine du Sud. On picolait, on sifflait, on matait bouche bée les nanas qui faisaient des strip-teases sur la piste, on passait le temps comme on pouvait. Le dernier jour de repos, le colonel Daoud nous a confirmé la rumeur. Il a joué le rôle du père autoritaire mais qui a bon cœur. Il nous a donné l’ordre de nous placer en demi-cercle et nous a dit de nous mettre au repos.
— Vous allez vous faire le 48 e bataillon viêt-cong.
C’était un Noir, un soldat costaud avec des manières bien comme il faut. Il ne souriait pas, mais c’était l’une des raisons pour lesquelles on était censé l’apprécier. Il a enchaîné :
— Le 48 e bataillon, c’est de sacrément bons soldats. Des durs. Il y en a parmi vous qui ont déjà eu affaire à eux. C’est des malins. C’est ça qui les rend durs. Ils vont vous tirer dessus pendant que vous dormirez. Vous regardez par terre pour attacher vos lacets, et c’est là qu’ils vont vous avoir. Vous vous endormez pendant votre tour de garde – ils vous massacrent. Vous vous baladez sur un petit chemin, là où ils foutent leurs mines, parce que les Américains sont des gros fainéants et qu’ils aiment pas marcher dans les rizières, et ils vous explosent en mille morceaux. Raides morts.
Le colonel Daoud avait l’air de penser qu’on était une bande de crétins. Il croyait qu’il nous apprenait quelque chose de vital, qu’il nous aidait à survivre. Ce qui ne l’empêchait pas de nous envoyer au casse-pipe.
— Bon, voilà. Vous avez juste intérêt à être malins, comme eux. À être plus malins qu’eux. Vous êtes des soldats américains. Vous êtes plus forts que les Niakoués. Plus balaises. Plus rapides. Plus intelligents. Vous êtes mieux équipés, mieux formés, on s’occupe mieux de vous. Tout ce qu’il faut, c’est faire preuve d’un minimum de jugeote. Un peu de bon sens, voilà ce qu’il faut. Si vous sentez que vous vous endormez au milieu d’un tour de garde, allez réveiller un pote, demandez-lui de vous remplacer. Ouvrez grands les yeux quand vous avancez. Regardez bien dans les buissons. Regardez bien si vous voyez de la terre qui vient d’être retournée. S’il y a un truc qui vous paraît louche, traînez pas dans les parages et dites-le à vos potes. Compris ? Pinkville, c’est pas le paradis. Ça, je le sais. Mais si vous êtes débiles, on vous fera la peau en plein cœur de New York.
Daoud est remonté dans son hélicoptère.
— Bon Dieu, quel enfoiré de casse-couilles !
C’était un officier.
— Il nous envoie à Pinkville et il ose nous dire que tout va bien se passer si on est un peu malin. New York, mon cul.
J’ai écrit une lettre à Erik. Et puis il y a eu un spectacle de gonzesses. Une strip-teaseuse coréenne vêtue d’une robe du soir noire et parée de bijoux en argent a commencé son numéro. Elle faisait ça sur la musique de Paul Simon et Arthur Garfunkel : « Homeward bound, I wish I was, homeward bound. » Elle avait des gros seins, gros pour une Niakouée, ça, c’est clair, voilà ce que tout le monde disait. Pinkville. Bon Dieu, pourquoi fallait que ça tombe sur Pinkville ? Les mines. Les Niakoués machiavéliques, tordus.
Tout à coup, la Coréenne a commencé à se déshabiller, nous a fait voir une cuisse bronzée et élancée à travers la fente de sa robe noire. C’était la nana la plus mignonne de tout l’Orient. Et ses seins bestiaux, tellement gros qu’ils paraissaient artificiels, gigotaient gentiment.
Quand la robe a glissé de ses épaules, comme par enchantement les gars se sont mis à gueuler.
On aurait dit que ça l’embarrassait. Elle a fait rouler son dos, s’est légèrement détournée de la compagnie Alpha et a fléchi les omoplates.
En rythme avec la musique, elle s’est déballée comme un joli cadeau. Là, elle a pris un bâton et s’est mise à se donner des petits coups.
Le groupe jouait un truc des Beatles, Hey Jude, don’t be afraid. Take a sad song and make it better. Remember. La fille a fini son strip-tease en chantant les paroles : « And anytime you feel the pain, Hey
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