Si je meurs au combat
épitaphe réservée aux cinglés.
Alpha a passé la plus grande partie du mois d’août sur une grosse colline au sommet tout plat, au nord de Pinkville. C’était un ancien champ de maïs, un coin poussiéreux, où il n’y avait pas le moindre arbre et où il faisait une chaleur à crever. Pendant la journée, on faisait des patrouilles. Et pendant la nuit, on se faisait tirer dessus au mortier. C’était une sorte de rituel. Le soleil descendait, on bouffait, on fumait quelques clopes, on faisait quelques jeux de vocabulaire, et puis vers dix heures, les tirs de mortier commençaient à tomber.
Pas évident de conserver un bon trou, dans ce champ de maïs, parce que le sol était sablonneux. Les bords finissaient tout bonnement par nous tomber dessus. À la fin, on se contentait de creuser d’étroites tranchées, on se foutait là-dedans, à moitié endormis, et on parlait aux uns ou aux autres tout en se demandant quand les tirs de barrage allaient s’arrêter.
Tout ça, c’était tellement bien organisé, tellement réglé comme une horloge, qu’on apprenait à pisser juste après le coucher du soleil pour ne pas se retrouver debout quand les explosions commençaient. Pendant ces petites sessions nocturnes, personne n’a jamais été blessé, mais ça tapait quand même sur le système. Quand on regardait en bas, en direction des rizières, on voyait les éclairs rouges des tubes à mortier, et puis on entendait le « ploup » des salves qui partaient.
Ils arrosaient nos collines à coups de quatre-vingt-deux millimètres pendant vingt secondes, après quoi ils remballaient le matériel et rentraient à la maison. On appelait l’artillerie et, nous aussi, on leur balançait nos mortiers sur la tronche, mais c’était toujours trop tard. Il valait presque mieux retourner dans les tranchées et se coucher.
Malgré ces attaques de dix heures, malgré cette chaleur et toute cette poussière, le mois d’août ne s’est pas si mal passé sur notre petite colline. Personne ne s’est fait tuer. Très peu de gars ont été sérieusement blessés. Des insolations et des ampoules, rien de plus grave que ça. Une véritable bénédiction. On était couchés là, la nuit, on écoutait le métal qui déchirait les haies et les fourrés ; les impacts faisaient des cratères à quelques mètres à peine des trous où l’on s’apprêtait à passer la nuit.
Les hélicos de ravitaillement nous apportaient chaque jour des repas chauds. On se descendait des caisses de bières bien froides et de sodas. Le moral des troupes était au plus haut – on était dans un mauvais coin, mais personne ne se faisait mutiler, si bien qu’on se sentait bénis des dieux. Rien ne pouvait mal tourner. Lors d’une patrouille, tôt le matin, on a pourchassé deux Viêt-congs jusque dans un bunker. Le chef de la compagnie et un lieutenant y ont balancé des grenades et vidé des chargeurs entiers de M-16 par le trou. Ils ont balancé encore d’autres grenades et ont encore tiré à la mitraillette. Le bunker bouillonnait d’une épaisse fumée. Ils ont arrêté et nos éclaireurs vietnamiens ont appelé pour leur demander s’ils se rendaient. Un Viêt-cong a balancé son fusil. Des gars de la compagnie sont descendus et les ont fait sortir de là. L’un des Viêt-congs – un jeune garçon – était mort criblé de halles. L’autre était plus vieux et il était à peine vivant. Il toussait du sang et du sang dégoulinait à travers sa chair déchirée, qui avait une couleur de rouille là où les éclats de grenade l’avaient touché. Il suppliait notre éclaireur vietnamien qu’on lui sauve la vie. Nos toubibs ont essayé de le rafistoler, mais c’était clair qu’il allait mourir. On a commencé à couper un arbre pour faire de la place à l’hélicoptère médical. Et puis le type a fini par mourir. On l’a laissé étalé, comme ça, par terre ; quand on est partis, les poulets picoraient la poussière tout autour de lui.
De retour dans notre champ de maïs, l’éclaireur a épluché les papiers que le vieux Viêt-cong avait sur lui.
— Ce Viêt-cong, chef de district viêt-cong. Grosse pointure. Sale bâtard.
Le chef de la compagnie n’en revenait pas :
— Sans déconner ?
Il souriait.
— Hé, on s’est fait un chef de district viêt-cong ! On s’est descendu un gros caïd viêt-cong, là-bas !
Le chef de la compagnie était aux anges. Il a appelé le quartier général et leur a
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