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S'il est minuit dans le siècle

S'il est minuit dans le siècle

Titel: S'il est minuit dans le siècle Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Victor Serge
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plus hautes, que les enfants du
voisinage n’avaient pas encore arrachées. Avélii s’y hissa et s’accroupit
contre la porte, barrée en travers d’un tronc de jeune bouleau. Il voyait, en
face, le toit d’une autre maison basse, découpé en noir sur le ciel et juste
au-dessus de ce toit, une étoile, sur laquelle son regard se fixa. Et il s’aperçut
que l’immobilité scintillante en était un mouvement perceptible ; et seul
il voyait ce mouvement, seul. Ce lui fut une joie grave, tout au fond de
laquelle il sentit une pointe d’angoisse. Le coassement des grenouilles
commença, des aboiements se répondirent quelque part, il y eut des remuements de
bêtes dans l’obscurité voisine. Une foule d’êtres vivait dans ce silence, et l’étoile
parcourait son chemin inimaginable. Avélii fit craquer les jointures de ses
doigts. Un chant voilé lui remplissait la poitrine et le crâne. Des paroles en
naquirent. Avélii tendit le bras dans la solitude, en murmurant : « Rodion,
frère, c’est tellement simple, moi qui n’aime pas penser, je comprends si bien
ce que c’est que de vivre… »
    Son corps ne consentait pas à s’enfermer dans le grenier, au-dessus
des rats, ses jarrets sollicitaient encore la marche. La demeure de l’homme
ressemble à une tombe. Avélii eut un mouvement de révolte à l’idée de s’y
coucher comme un mort, ce soir d’événement. « Il ne fait pas trop froid, j’irai
dormir dans la steppe. » Il parcourut de larges rues noires, se retournant
parfois pour retrouver l’étoile dont sa propre course dérisoire ne lui
permettait plus de discerner le mouvement. Ainsi, tout à l’heure, se
retournaient vers lui les oiseaux. Il finit par s’arrêter devant une clôture, réduite
à quelques planches, fermant une cour. Une lampe brûlait dans la maison, derrière
un rideau blanc. Avélii s’insinua entre deux planches, traversa la cour, toucha
joyeusement du bout des doigts l’avant courbe d’un traîneau retourné, frappa
tout doucement à une porte, dans le noir.
    – Te revoilà, dit Varvara, sans surprise, moi, j’ai lu
sans désemparer, depuis ton départ… Ce n’est guère prudent…
    Elle rabattit un feuillet de journal et les messages
étalèrent le sable ténu des mots, des idées…
    – Il faut cacher ça, Varvara. Pourquoi ne
viendraient-ils pas aujourd’hui, ces gredins vigilants ? Laisse-moi faire.
    Ils allèrent enfouir les précieux papiers sous le traîneau, dans
la cour. Ensemble, leurs doigts se mêlant, ils les couvrirent de terre. La
chambre ensuite, fut singulièrement vide. Le lit étroit, la table, le portrait
d’enfant sur le mur, – Katia, – des livres sur le plancher, le réchaud, des
chaussures dans un angle, choses abandonnées dans du froid. Varvara croisa les
bras sur sa poitrine, fermant ainsi un petit paletot d’été qui lui servait de
robe de chambre. Ils étaient debout, proche à se toucher, dans le vide, et elle
rompit leur court silence gêné :
    – T’assieds-tu un moment, Avélii ?
    – Non, je m’en vais, – il est tard, – couche-toi.
    Ce cou, ces tempes nettes, ces orbites bistrées, cette
bouche sombre et mince entrouverte par une attente, voici qu’il les apercevait
à travers la plaine où volaient les oiseaux, au crépuscule, la musique de la
nuit, l’étonnante course d’une étoile au-dessus de l’horizon et quelque chose d’autre
encore qui était tout cela et lui-même, comme un sentiment d’ailes prêtes à se
déployer.
    – Eh bien, au revoir, Varvara, dit-il en lui saisissant
les deux mains.
    Il croyait bien partir, franchir la porte, s’en aller à
travers la nuit, en pleine solitude, entre terre et ciel, mais il demeurait là,
gardant ces mains inertes dans les siennes, – et Varvara le considérait avec un
grand sérieux, de très, très loin.
    – Tu es une bonne camarade, Varvara, et je… Non, je t’assure,
ce n’est pas de l’amour, pas du tout, ni du désir, c’est… c’est…
    – Et c’est pour me le dire que tu es revenu, Avélii ?
    Ces paroles ne signifiaient peut-être rien, mais la voix
attirait. Le vertige, le sommeil sont ainsi : on y tombe. Varvara baissa
un peu la tête et d’un ton assourdi :
    – Eh bien, si tu veux, Avélii, ne t’en va pas…
    Ils redécouvrirent les choses autour d’eux. Avélii montrait
les dents. Quelque chose riait en lui, mais il ne riait pas. Il aperçut la
couche étroite, dressée sur des caisses d’emballage ; et

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