Sir Nigel
en
poussant un petit sifflement.
– Mon Dieu ! murmura-t-il. J’ai dans
l’idée que j’emmène en Bretagne quelques durs avec moi !
Chapitre 19 COMMENT UN ÉCUYER D’ANGLETERRE RENCONTRA UN ÉCUYER DE FRANCE
Sir Robert avec sa petite flotte aperçut la
côte bretonne aux environs de Cancale. Il avait contourné la pointe
du Grouin, dépassé le port de Saint-Malo et descendu l’étroit
estuaire de la Rance jusqu’à ce qu’il fût en vue des vieilles
murailles de Dinan, cité tenue par les Montfort, dont les Anglais
soutenaient la cause. Les chevaux y avaient été conduits à terre,
le ravitaillement déchargé et toute la troupe avait campé hors des
murs de la ville, tandis que les chefs attendaient des nouvelles
pour apprendre où ils auraient le plus de chances de gagner honneur
et profits.
La France tout entière ressentait les effets
de cette guerre avec l’Angleterre qui durait déjà depuis plus de
dix ans. Mais aucune province ne se trouvait dans un état plus
pitoyable que cette malheureuse terre de Bretagne. En Normandie ou
en Picardie, les incursions des Anglais n’étaient que
périodiques ; il y avait des intervalles de calme. La
Bretagne, elle, était déchirée par une constante guerre civile qui
se poursuivait entre les batailles que se livraient deux puissants
ennemis. Ainsi donc, elle n’avait pas de répit dans ses
souffrances. La lutte avait commencé en 1341 à la suite des
revendications rivales des Montfort et des Blois pour occuper le
duché vacant. L’Angleterre avait pris le parti des Montfort, la
France celui des Blois. Ni l’une ni l’autre des factions n’avait
été assez puissante pour détruire l’autre ; voilà pourquoi,
après dix années de combats continus, l’histoire enregistrait une
longue liste de surprises, d’embûches, de raids, de coups de main,
de villes prises et perdues, de victoires et de défaites, dans
laquelle ni l’un ni l’autre des partis ne pouvait prétendre à une
suprématie. Peu importait que Montfort et Blois eussent tous deux
disparu de la scène, l’un mort et l’autre prisonnier des anglais.
Leurs femmes avaient ramassé l’épée sanglante qui était tombée de
la main de leur seigneur, et la longue lutte s’était poursuivie,
plus sauvage que jamais.
La faction des Blois tenait le pays au sud et
à l’est, et Nantes, la capitale, était occupée par une forte armée
française. Le parti des Montfort prévalait au nord et à l’est,
soutenu dans le dos par le grand royaume insulaire. Et, sans arrêt,
de nouvelles voiles perçaient l’horizon du nord, amenant des
aventuriers d’au-delà de la Manche.
Entre les deux s’étendait une large zone,
comprenant tout le centre du pays, terre de sang et de violence,
sans autre loi que celle de l’épée. D’un bout à l’autre, elle était
parsemée de châteaux, les uns tenus par l’une des factions, les
autres occupés par le parti adverse, mais la plupart n’étaient que
des repaires de brigands, théâtres d’exploits monstrueux, et leurs
brutaux propriétaires, sachant qu’on ne leur demanderait jamais de
comptes, faisaient la guerre à toute l’humanité et usaient du fer
et du feu pour arracher leurs derniers sous à ceux qui leur
tombaient entre les mains. Les champs n’avaient plus été labourés
depuis longtemps, le commerce avait périclité. De Rennes à l’est
jusqu’à Hennebont à l’ouest, et de Dinan au nord jusqu’à Nantes au
sud, il n’était pas un endroit où la vie d’un homme, l’honneur
d’une femme fussent en sûreté. Tel était le pays sombre et
sanglant, le plus triste et le plus noir de toute la chrétienté,
dans lequel Knolles et ses hommes avançaient.
Il n’y avait cependant pas de tristesse dans
le cœur du jeune Nigel, qui chevauchait aux côtés de Knolles, à la
tête d’un groupe de soldats armés de javelots. Il ne lui paraissait
pas non plus que le destin l’eût conduit sur un chemin
particulièrement ardu. Bien au contraire, il bénissait sa bonne
fortune qui l’avait envoyé dans une si belle région. Tout en
écoutant d’épouvantables histoires de barons et de brigands,
contemplant les noires cicatrices que la guerre avait laissées sur
les frais visages des collines, il se disait qu’aucun héros, aucun
romancier, aucun trouvère, n’avait jamais voyagé dans un pays aussi
prometteur, avec autant de chances de trouver une aventure
chevaleresque et un honorable avancement.
Le Furet Rouge symbolisait
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