Sir Nigel
d’entre eux
n’auraient osé franchir cette grille, signe de l’unique force qui,
dans ce monde de fer, pouvait se dresser entre le faible et le
spoliateur. La petite armée s’arrêta à Saint-Méen, où elle fit
cuire le repas de midi. Elle s’était reformée et était prête à se
remettre en marche lorsque Knolles attira Nigel à part.
– Nigel, je crois bien n’avoir que
rarement porté les yeux sur un cheval qui eût tant de puissance, et
fût plus prometteur d’une aussi grande vitesse que le vôtre.
– C’est en effet un noble coursier,
messire.
Entre Nigel et son jeune chef, une grande
amitié et une sorte de respect étaient nés depuis le jour où ils
avaient mis pied sur le
Basilisk
.
– Il lui faudrait se dégourdir un peu les
jambes, fit le chevalier. Maintenant, écoutez-moi bien, Nigel. Que
voyez-vous là-bas sur cette colline, entre les rochers et les
arbres ?
– Je perçois une tache blanche. C’est un
cheval sans aucun doute.
– Je l’ai vu toute la matinée, Nigel. Ce
cavalier reste sur notre flanc, à nous épier ou à attendre le
moment de nous jouer un mauvais tour. Je serais très heureux
d’avoir un prisonnier car je voudrais obtenir quelques
renseignements sur ce pays. Or ces paysans ne parlent ni le
français ni l’anglais. Je voudrais que vous traîniez et vous
dissimuliez ici, cependant que nous avancerons. Cet homme va
continuer de nous suivre. S’il le fait, ce bois que vous voyez
là-bas se trouvera entre vous et lui. Contournez-le et allez le
surprendre par-derrière. Une large plaine s’étend à sa gauche et
nous lui couperons le chemin à droite. Si votre cheval est vraiment
le plus rapide, vous ne pouvez manquer de vous saisir de lui.
Nigel avait déjà mis pied à terre et
resserrait la ventrière de Pommers.
– Non, inutile de vous hâter, car vous ne
pourrez partir avant que nous soyons au moins à deux milles d’ici.
Et, par-dessus tout, je vous en conjure, Nigel, point d’exploits
chevaleresques ! C’est cet homme que je veux, lui et les
informations qu’il pourrait me procurer. Ne pensez point à votre
propre avancement, mais au besoin de l’armée. Lorsque vous le
tiendrez, dirigez-vous à l’ouest vers le soleil, et vous ne pourrez
manquer de rejoindre la route.
Nigel attendit avec Pommers à l’ombre du mur
du couvent, tous deux piaffant d’impatience sous trois paires
d’yeux ronds écarquillés dans d’innocents visages de nonnes
contemplant cette vision d’un autre monde. Enfin la longue colonne
disparut derrière un tournant de la route et le point blanc quitta
le flanc vert et dénudé de la colline. Nigel inclina la tête vers
les religieuses, donna un coup sec sur les rênes et s’élança pour
accomplir sa mission. Les bonnes sœurs aux yeux arrondis virent le
cheval jaune et son cavalier contourner l’orée du bois, et elles
s’en retournèrent calmement à leurs travaux de jardinage, l’esprit
plein de la beauté et de l’horreur de ce vaste monde qui s’étendait
au-delà du grand mur.
Tout se déroula exactement ainsi que Knolles
l’avait prévu. Lorsque Nigel eut contourné la forêt de chênes,
l’homme se trouvait à l’autre bout, monté sur un cheval blanc, et
une grande plaine herbeuse les séparait.
Il était si près que Nigel pouvait le
distinguer nettement. C’était un jeune cavalier au fier maintien,
portant une tunique de soie pourpre et une plume rouge arrondie
autour de son bonnet noir et plat. Il n’avait pas d’armure, mais
une épée au côté ; il montait avec aisance et insouciance
comme quelqu’un qui ne craint personne ; il ne quittait pas
des yeux les Anglais sur la route. Il leur prêtait tant d’attention
qu’il ne songeait même pas à sa propre sécurité, et ce ne fut que
lorsque le martèlement sourd des sabots du grand cheval frappa ses
oreilles qu’il se retourna sur sa selle, regarda froidement Nigel
puis donna un coup sec sur les rênes et fonça tel un épervier vers
les collines sur sa gauche.
Cependant ce jour-là, Pommers avait trouvé son
égal. Le cheval blanc, un pur-sang arabe, portait un poids plus
léger, puisque Nigel était revêtu de son armure. Pendant cinq
milles en terrain découvert, aucun d’eux ne put prendre cent yards
à l’autre. Ils avaient escaladé la colline et redescendaient
l’autre versant, l’étranger se retournant toujours sur sa selle
pour observer son poursuivant. On ne sentait pas de panique dans sa
fuite, mais plutôt
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