Sir Nigel
Beddington !
Laissez-les courir.
Les laisses furent lâchées, et les deux
hommes, baissant la tête, se mirent à courir comme des déments vers
l’abri du bois. Les deux compétiteurs, chacun avec une flèche sur
la corde bandée, se tenaient immobiles comme des statues, le regard
menaçant fixé sur les fugitifs et leur arc s’élevant lentement à
mesure que la distance augmentait entre leur cible et eux. Les
Bretons étaient déjà à mi-chemin du bois et le vieux Wat n’avait
pas encore donné le signal. Était-ce par pitié ou par ruse ?
Au moins, il accordait aux deux hommes une belle chance de vie. À
cent vingt pas, il tourna sa tête grisonnante et cria :
– Tirez !
À l’instant même, la corde du Yorkshireman
vibra. Ce n’était pas pour rien qu’il avait conquis la réputation
d’être l’archer le plus meurtrier du Nord et avait remporté par
deux fois la flèche d’argent de Selby. Son trait alla se planter
jusqu’à la plume dans le dos voûté du grand paysan aux cheveux
blonds. Celui-ci tomba sans un mot, le visage contre terre, et
resta immobile dans l’herbe, la petite plume jaune entre les
épaules. Le Yorkshireman jeta son arc en l’air et se mit à danser
de joie tandis que ses amis prouvaient leur satisfaction par un
tonnerre d’applaudissements qui se transforma en une tempête de
huées et de rires.
Le petit paysan, plus rusé que son camarade,
avait couru moins vite, tout en jetant de nombreux regards en
arrière. Il avait remarqué le destin de son compagnon et attendit
que l’armoïer lâchât sa corde. Au moment même, il se jeta à plat
ventre sur le sol et entendit la flèche siffler au-dessus de lui.
Quand elle alla se planter dans l’herbe bien plus loin, il bondit,
au milieu des cris et des hurlements des archers, et se précipita
vers le bois pour y trouver abri. Il y touchait presque et au moins
deux cents pas le séparaient du plus proche de ses persécuteurs.
Ils ne pouvaient plus l’atteindre. Dans l’épaisse forêt, il serait
aussi sûr que le lapin dans son terrier. Tout à la joie de son
cœur, il éprouva le besoin de danser en signe de dérision envers
l’homme qui l’avait manqué. Il rejeta la tête en arrière et hurla
vers eux comme un chien. Mais au même moment une flèche lui
transperça la gorge et il s’écroula dans la fougère. Un silence de
surprise plana sur les archers qui éclatèrent alors en
hurlements.
– Par la sainte croix de Beverley !
cria le vieux Wat. Je n’ai jamais vu plus belle compétition depuis
des années. Même dans mes meilleurs jours, je n’aurais pu faire
mieux. Lequel d’entre vous a tiré ?
– C’est Aylward de Tilford… Samkin
Aylward, crièrent une vingtaine de voix.
L’archer, rougissant de bonheur devant cette
gloire soudaine, fut poussé devant tout le monde.
– J’aurais préféré plus noble cible,
dit-il. Pour ma part, je l’aurais laissé en vie, mais mes doigts
n’ont pu se détacher de la corde quand il s’est retourné pour se
gausser de nous.
– Je constate que tu es un maître archer,
fit le vieux Wat. J’ai l’âme réconfortée en pensant que, si je
meurs, je laisserai un tel homme derrière moi pour maintenir haut
le prestige de notre art. Maintenant, rassemblez vos traits et en
avant ! Sir Robert nous attend au sommet de cette colline.
Durant toute la journée, Knolles et ses hommes
traversèrent la même région sauvage et déserte, habitée par ces
fugitives créatures, lièvres devant les forts et loups devant les
faibles, qui se dissimulaient dans les fourrés. De temps à autre,
ils apercevaient sur le sommet d’une colline quelques cavaliers qui
les observaient et disparaissaient aussitôt à leur approche. À
plusieurs reprises les cloches sonnèrent l’alarme dans les villages
au milieu des collines et, par deux fois, ils aperçurent des
châteaux qui levèrent le pont-levis à leur approche et dont les
murs se hérissèrent de soldats sonnant de la trompe. Mais Knolles
n’avait nullement l’intention d’user ses forces contre des murs de
pierre. Il passa donc son chemin.
Une fois, à Saint-Méen, ils passèrent devant
un couvent de religieuses entouré d’un grand mur gris couvert de
lierre, oasis de paix dans ce désert de guerre, où les sœurs en
robe noire travaillaient dans leur jardin, protégées du mal par la
puissante main de la sainte Église. Les archers les saluèrent en
passant car même les plus audacieux et les plus rudes
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