Sir Nigel
chevauchèrent
ensemble, le Français ne cessant de parler de sa dame, exhibant son
gant d’une de ses poches, sa jarretière qu’il tira de dessous son
pourpoint et son soulier de la fonte de sa selle. Elle était blonde
et, quand il apprit que Lady Mary était noire, il se serait bien
arrêté pour disputer de ses préférences en matière de couleur de
cheveux. Il parla aussi de son château de Lauta, près des eaux
agréables de la Garonne, de la centaine de chevaux qui garnissaient
les écuries, des soixante-dix chiens qui peuplaient les chenils et
des cinquante faucons dans les mues. Son ami anglais devrait y
aller lorsque la guerre serait finie. Quel beau jour ce
serait ! Nigel à son tour, dont la froideur anglaise fondait
devant le jeune rayon de soleil méridional, se surprit à parler des
pentes couvertes de bruyère dans le Surrey, de la forêt de Woolmer
et même des chambres sacrées de Cosford.
Mais ils se dirigeaient vers le soleil
couchant, pensées perdues dans leurs lointains foyers respectifs,
chevaux au pas, lorsque quelque chose soudain les ramena
brutalement à la réalité des périlleuses collines de la
Bretagne.
C’était le long appel d’une trompe venant du
versant opposé d’une hauteur vers laquelle ils se dirigeaient. Une
seconde longue note y répondit à quelque distance.
– Est-ce votre camp ? demanda le
Français.
– Non, nous avons des pipeaux et un ou
deux fifres mais jamais je n’ai entendu d’appel de trompe dans nos
rangs. Nous ferions bien de nous dissimuler, car nous ignorons ce
qui se trouve devant nous. Allons de ce côté. Nous pourrons voir
sans être vus nous-mêmes.
Derrière quelques bouleaux couronnant la
hauteur, les deux jeunes écuyers purent regarder la longue vallée
rocailleuse qui s’étendait devant eux. Sur un tertre se dressait un
petit bâtiment couronné de créneaux. À quelque distance de là
s’élevait un grand et sombre château aussi massif que les rocs sur
lesquels il reposait, avec un puissant donjon à l’un des angles et
quatre longues lignes de murs à mâchicoulis. Tout au-dessus, une
immense bannière flottait au vent et son motif flamboyait dans le
soleil couchant. Nigel mit sa main en visière :
– Ce ne sont point les armes
d’Angleterre, jugea-t-il, ni les lys de France, pas plus que
l’hermine de Bretagne. Celui qui occupe ce château combat donc pour
son propre compte puisque c’est son emblème qui flotte là. C’est
une tête de gueules sur champ d’argent.
– La tête sanglante sur le plateau
d’argent ! s’écria le Français. On m’a prévenu contre
lui ! Ce n’est point un homme, ami Nigel, c’est un monstre qui
combat l’Angleterre et la France et toute la chrétienté.
N’avez-vous jamais entendu parler du boucher de la
Brohinière ?
– Non, jamais.
– Son nom est maudit en France. N’ai-je
point entendu dire que cette année même il a mis à mort Gilles de
Saint-Pol, ami du roi d’Angleterre ?
– Oui, il me souvient maintenant d’avoir
entendu quelque chose de semblable, à Calais, avant notre
départ.
– Eh bien, c’est là qu’il demeure, et
Dieu vous garde si jamais vous passez devant ce portail, car nul
prisonnier n’en sortit jamais vif. Depuis que ces guerres ont
commencé, il est devenu une sorte de roi et le produit de onze
années de pillage s’est accumulé dans ses caves. Et comment la
justice pourrait-elle le frapper, quand personne ne sait à qui
appartient cette terre ? Mais lorsque nous vous aurons tous
renvoyés dans votre île, par la sainte Mère de Dieu ! nous
aurons une lourde dette à faire payer à celui qui habite ces
murs.
Comme ils étaient à observer, un nouvel appel
de trompe s’éleva. Il ne venait pas du château mais de l’autre bout
de la vallée. Il y fut répondu par un second appel provenant des
murs. Puis parut en une longue ligne ondoyante une bande de
maraudeurs rentrant chez eux avec leur butin. À la tête d’un groupe
d’hommes armés de javelots s’avançait à cheval un homme, grand et
solide, revêtu d’une armure d’airain qui le faisait briller comme
une statue d’or dans les rayons du soleil. Son casque était détaché
de la gorgière et était suspendu au cou du cheval. Une grande barbe
lui flottait sur la poitrine et ses cheveux lui pendaient jusque
dans le dos. À côté de lui, un écuyer portait la bannière à la tête
de sang. Derrière les soldats venaient une rangée de mules
lourdement chargées
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