Sir Nigel
et, de part et d’autre, un troupeau de paysans
qu’on conduisait au château.
Enfin, venait un second groupe de soldats
montés, conduisant une vingtaine de prisonniers.
Nigel les regarda puis, bondissant sur son
cheval, s’avança, protégé par le relief. Il atteignit ainsi sans
être vu un endroit situé à peu de distance de la porte. Il venait à
peine d’occuper sa nouvelle position, que le cortège s’engagea sur
le pont-levis au milieu des cris de bienvenue de ceux qui
garnissaient les murs. Nigel détailla de nouveau attentivement les
prisonniers de l’arrière-garde. Il était à tel point absorbé par
son observation qu’il avait dépassé les rochers et se tenait
presque au sommet de l’éminence.
– Par saint Paul ! dit-il. C’est
bien cela ! Je vois leurs hoquetons roux. Ce sont des archers
anglais.
Comme il parlait, un des prisonniers, solide
gaillard aux larges épaules, leva la tête et aperçut la silhouette
brillante au-dessus de la colline, avec le casque ouvert et les
roses rouges sur la poitrine. D’un large mouvement des bras, il
rejeta ses gardiens sur les côtés et se trouva hors du groupe.
– Squire Loring ! Squire
Loring ! cria-t-il. C’est moi, Aylward, l’archer ! C’est
moi, Samkin Aylward !
Aussitôt une douzaine de mains se saisirent de
lui, ses cris furent étouffés par un bâillon et il fut traîné à la
suite des autres dans la sinistre entrée du château. Puis les deux
portes de fer se fermèrent lourdement, le pont se releva et,
captifs et conquérants, voleurs et butin disparurent dans les
entrailles de la lugubre forteresse.
Chapitre 20 COMMENT LES ANGLAIS ATTAQUÈRENT LE CHÂTEAU DE LA BROHINIÈRE
Pendant quelques minutes, Nigel resta immobile
sur la crête de la colline. Il sentit son cœur prendre la lourdeur
du plomb, à regarder fixement les grosses murailles grisâtres
derrière lesquelles se trouvait enfermé son malheureux compagnon.
Une main compatissante se posa sur son épaule et la voix de son
prisonnier le fit se lever.
– Peste ! dit ce dernier. Je crois
qu’ils ont quelques-uns de vos oiseaux dans leur cage, n’est-ce
pas ? Alors, mon ami ? Haut les cœurs ! N’est-ce
point là le hasard de la guerre, eux aujourd’hui et vous demain,
tandis que la mort nous guette tous ? Cependant je préférerais
les voir dans n’importe quelles mains plutôt que dans celles
d’Olivier le Boucher.
– Par saint Paul ! nous ne pouvons
admettre cela ! Cet homme que vous avez vu me suit depuis que
j’ai quitté ma demeure et plus d’une fois déjà il s’est trouvé
entre la mort et moi. Ce serait pour moi une indicible souffrance
de penser qu’il aurait fait en vain appel à moi. Je vous prie,
Raoul, de réfléchir pour moi, car je ne le puis plus. Dites-moi ce
que je dois faire et comment je puis lui porter secours.
Le Français haussa les épaules.
– Autant vouloir retirer un agneau vivant
de la tanière d’un loup que d’espérer faire sortir un prisonnier de
la Brohinière. Voyons, Nigel, où allez-vous ? Avez-vous donc
perdu l’esprit ?
L’écuyer avait éperonné son cheval et
descendait la colline. Il ne s’arrêta que lorsqu’il ne fut plus
qu’à une portée de flèche de la grande porte. Le prisonnier
français le suivit difficilement en l’accablant de reproches.
– Vous êtes fou, Nigel !
Qu’espérez-vous faire ? Voulez-vous donc emporter le château
sous le bras ? Arrêtez-vous ! Au nom de la très Sainte
Vierge, arrêtez-vous !
Mais Nigel n’avait en tête aucun projet
défini. Il n’obéissait qu’à l’impulsion fiévreuse de tenter quoi
que ce fût en vue d’apaiser ses pensées. Il promena son cheval de
long en large en agitant un javelot et en hurlant des menaces et
des défis à la garnison. Du haut des murailles, une centaine de
visages moqueurs le regardaient. Toutefois son comportement était
si décidé, si résolu, qu’ils crurent à un piège et le pont-levis
resta relevé : personne ne se risqua à sortir pour se saisir
de lui. Quelques flèches tombèrent sur les rochers alentour puis
une grosse pierre, lancée par une baliste, passa au-dessus des deux
jeunes écuyers pour aller s’écraser derrière eux dans un bruit de
tonnerre. Le Français empoigna la bride de Nigel et l’obligea à
s’éloigner.
– Par la Sainte Vierge ! je ne me
soucie guère d’entendre ces cailloux autour des oreilles et, comme
je ne puis retourner seul, il faut bien, mon cher ami,
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