Sir Nigel
son ami blessé et chacun des
archers fit de même. Nigel retourna à plusieurs reprises jusqu’à ce
qu’il ne restât plus que sept morts dans le tunnel. Treize blessés
furent étendus dans l’abri du fossé où il leur faudrait rester en
attendant que la nuit vînt les couvrir. Cependant les archers de
l’extérieur s’occupaient à protéger leurs compagnons de toutes
attaques et à empêcher l’ennemi de réparer la porte. L’ouverture
béante d’une arche noircie par la fumée était tout ce qu’ils
pouvaient montrer en échange des trente vies qu’ils avaient
données. Mais si peu que ce fût, Knolles était bien décidé à la
garder.
Couvert de brûlures et de contusions, mais
insensible à la douleur comme à la fatigue, Nigel s’agenouilla à
côté du Français et lui détacha son casque. Le juvénile visage du
jeune écuyer était blanc comme la chaux et déjà l’ombre de la mort
planait sur ses yeux violacés, mais un fin sourire lui arrondit les
lèvres lorsqu’il regarda son ami anglais.
– Je ne reverrai jamais Béatrice,
souffla-t-il. Je vous prie, Nigel, lorsque la paix sera faite, de
vous rendre au château de mon père pour lui dire comment est mort
son fils. Le jeune Gaston va se réjouir, car c’est à lui maintenant
que reviendront la terre, les armoiries, le cri de guerre et les
profits. Allez les voir, Nigel, et dites-leur que j’étais au
premier rang comme les autres.
– Sans aucun doute, Raoul, personne
n’aurait pu se comporter plus honorablement et se gagner plus de
gloire que vous ne le fîtes ce jour. J’exaucerai votre désir
lorsque le moment sera venu.
– Que vous êtes heureux, Nigel !
murmura encore l’écuyer moribond. Car ce jour vous a donné une
action d’éclat de plus à déposer aux pieds de votre dame.
– Il en eût été ainsi si j’avais emporté
la place, fit Nigel tristement, mais, par saint Paul ! je ne
puis considérer ceci comme un haut fait, alors que j’ai dû me
replier sans avoir atteint mon but. Mais ce n’est point le moment
de parler de mes pauvres affaires, Raoul. Si nous emportons le
château et si je me comporte bien, alors peut-être tout ceci
pourra-t-il compter.
Le Français se redressa soudain avec cette
étrange énergie qui vient souvent comme un signe avant-coureur de
la mort.
– Vous, vous gagnerez votre Lady Mary,
Nigel, et vos actions d’éclat ne seront point au nombre de trois,
mais de vingt, si bien que, dans toute la chrétienté, il n’existera
point un homme de noble sang et portant blason qui ne connaisse
votre nom et votre gloire. Et cela, c’est moi qui vous le dis… moi,
Raoul de la Roche Pierre de Bras, mourant sur le champ de bataille.
Et maintenant, embrassez-moi, mon bon ami, et étendez-moi, car déjà
les ténèbres de la mort m’entourent et je m’en vais.
Au même moment, où, dans un geste tendre,
l’écuyer abaissait la tête de son camarade, celui-ci eut un hoquet
et son âme s’envola. Ainsi mourut un vaillant paladin de France, et
Nigel, en s’agenouillant à côté de lui, dans le fossé, pria avec
ferveur afin que sa propre mort fût aussi noble et calme.
Chapitre 21 COMMENT LE SECOND MESSAGER S’EN FUT À COSFORD
Sous le couvert de la nuit, les blessés furent
évacués du fossé tandis que des piquets d’archers s’avançaient
jusqu’à la porte même afin qu’on ne pût la reconstruire. Nigel, le
cœur alourdi par sa défaite, la mort de son ami et ses craintes
pour Aylward, s’en retourna en rampant vers son camp. Mais sa coupe
n’était pas pleine encore car Knolles l’attendait, la langue aussi
mordante qu’un fouet. Qui se croyait-il donc, lui, pauvre petit
écuyer, qui menait une attaque sans en avoir reçu l’ordre ? Et
voilà où ses folles idées de chevalerie errante l’avaient mené. Il
avait perdu vingt hommes sans y rien gagner. Il avait leur sang sur
la conscience. Chandos serait mis au courant de sa conduite. Il
serait renvoyé en Angleterre après la prise du château.
Tels furent les reproches de Knolles, d’autant
plus amers que Nigel sentait au fond du cœur qu’il avait mal agi et
que Chandos lui aurait dit la même chose, en termes plus aimables
peut-être. Il les écouta dans un respectueux silence, comme il
était de son devoir, puis, après avoir salué son chef, se retira
pour aller se jeter parmi les buissons et, le visage entre les
mains, verser les plus chaudes larmes de sa vie. Il avait pourtant
lutté avec ardeur, mais
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