Sir Nigel
viendrait encore. Je gage que, même s’il se
trouvait sur son lit de mort, il se ferait porter ici pour mourir
sur ce terrain.
– Vous dites vrai, Hugh, intervint
Bambro ! Je les connais, lui et ceux qui le suivent. On ne
pourrait trouver dans toute la chrétienté hommes plus courageux et
plus adroits dans le maniement des armes. J’ai dans l’esprit que,
quoi qu’il advienne, il y aura beaucoup d’honneur à gagner pour
chacun de nous aujourd’hui. J’ai toujours en tête une mélodie que
la femme d’un archer anglais me chanta lorsque je lui passai au
bras un bracelet d’or après la prise de Bergerac. Elle était du
vieux sang de Merlin, avec le pouvoir de divination. Voici ce
qu’elle me chanta :
Entre le chêne vert et la rivière bleue
Le chevalier, luttant vaillamment et sans trêve,
Fait que son renom au ciel de gloire s’élève.
» Voici le chêne et là-bas la rivière.
Cela ne peut rien présager que de bon.
Le puissant écuyer allemand fit preuve de
quelque impatience pendant que parlait son chef. Bien qu’il ne fût
qu’un subordonné, aucun des hommes présents n’avait autant que lui
l’expérience de la guerre, et n’était plus fameux combattant. Il
intervint brusquement :
– Nous pourrions mieux employer le temps
en ordonnant nos lignes et en dressant des plans plutôt qu’en
parlant des vers de Merlin ou de ragots de vieilles femmes. C’est à
nos armes qu’il nous faut nous fier aujourd’hui. Et tout d’abord,
je voudrais vous demander, sir Richard, quelle est votre volonté au
cas où vous devriez tomber au cours du combat ?
Bambro se tourna vers les autres.
– Si tel devait être le cas,
messeigneurs, je désire que mon écuyer, Croquart, prenne le
commandement.
Il y eut un moment de silence pendant lequel
les chevaliers se regardèrent, interloqués. Knolles fut le premier
à reprendre la parole.
– Je ferai ainsi que vous le désirez,
Richard, dit-il, bien qu’il soit amer pour nous autres chevaliers
de servir sous les ordres d’un écuyer. Cependant ce n’est point le
moment de nous désunir, et, de plus, j’ai entendu dire que Croquart
était un homme de grande vaillance. Ainsi donc, je vous fais
serment, sur mon âme, de le considérer comme chef, si vous deviez
succomber.
– Moi aussi, Richard, fit Calverly.
– Moi aussi ! cria Belford. Mais il
me semble entendre la musique. Voici leurs bannières entre les
arbres.
Tous se tournèrent, appuyés sur leurs courtes
lances, pour voir approcher les hommes de Jocelyn qui sortaient du
bois. En tête marchaient les hérauts, vêtus du tabard à l’hermine
de Bretagne et soufflant dans des trompettes d’argent. Derrière
eux, un homme monté sur un cheval blanc portait l’étendard de
Jocelyn, de pourpre à neuf besants d’or. Puis venaient les
combattants, deux par deux, quinze chevaliers et quinze écuyers,
ayant chacun leur bannière au vent. Derrière eux, un vieux prêtre
était porté sur une litière ; c’était l’évêque de Rennes,
portant le viatique et les saintes huiles, afin de pouvoir apporter
le secours et le dernier soutien de l’Église à ceux qui allaient
mourir. La procession se terminait par des centaines d’hommes et
femmes de Jocelyn, de Guégon et d’Helléan, et toute la garnison de
la forteresse qui, comme les Anglais, était sans armes. La tête de
cette longue colonne avait déjà atteint le pré que la queue était
encore dans la forêt. Lorsqu’ils arrivèrent, les combattants
attachèrent leurs chevaux à l’autre bout du champ en plantant leurs
étendards derrière eux, et le peuple s’aligna, entourant la lice
d’un mur épais de spectateurs.
Les Anglais observaient les blasons armoriés
de leurs antagonistes, car ces flammes flottant au vent et ces
surcots brillants représentaient un langage que tout homme pouvait
comprendre. Devant se trouvait la bannière de Beaumanoir, d’azur à
frettes d’argent. Sa devise :
J’ayme qui m’ayme
était
portée sur un second fanion par un petit page.
– À qui appartient ce bouclier derrière
le sien… celui d’argent aux tourteaux de pourpre ? demanda
Knolles.
– À son écuyer, Guillaume de Montauban,
répondit Calverly. Et voici le lion d’or de Rochefort, et la croix
d’argent de Du Bois le Fort. On ne pourrait souhaiter meilleure
compagnie que celle qui se trouve devant nous aujourd’hui. Voyez,
voilà les annelets d’azur du jeune Tintiniac qui a vaincu mon
écuyer, Hubert. Avec
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