Sir Nigel
forêt de Woolmer.
– Bien sûr, mon garçon, mais il y a
d’autres forêts que celle de Woolmer et d’autres pays que notre
Angleterre. Et qui pourrait dire jusqu’où ira un preux chevalier
comme Nigel de Tilford, aussi longtemps qu’il verra de l’honneur à
gagner ? Disons que tu te trouves dans les déserts de la Nubie
et que, dans la suite, à la cour du grand sultan, tu veuilles dire
que tu as rencontré plusieurs lions. Que diras-tu ?
– Je crois, seigneur, que je me
contenterais de dire que j’ai vu plusieurs lions, en supposant que
je sois encore capable de parler après d’aussi merveilleuses
aventures.
– Que non, Nigel, un chasseur aurait dit
qu’il avait vu une famille de lions, ce qui aurait prouvé qu’il
connaissait le langage de la chasse. Et maintenant, s’il s’était
agi de sangliers, au lieu de lions ?
– Certains parlent toujours de sanglier
au singulier.
– Mettons qu’il se soit agi de porcs
sauvages ?
– Certainement un troupeau de porcs
sauvages.
– Que non, mon garçon ! Il est bien
triste de constater comme tu sais peu. Tes mains, Nigel, ont
toujours été meilleures que ta tête. Il n’est point un homme de
bonne naissance qui parlerait d’un troupeau de porcs. C’est là
langage de manant. C’en est un lorsqu’on les conduit, mais
lorsqu’on les chasse, c’est autre chose. Comment dirais-tu,
Édith ?
– Je ne le sais point, répondit la jeune
fille sans honte.
Elle étreignait dans la main un billet qu’un
varlet venait d’y glisser et ses yeux bleus regardaient au loin
vers les ombres du plafond.
– Mais toi, tu nous le pourras dire,
Mary.
– Certainement, seigneur, on dit une
troupe de porcs sauvages.
Le vieux chevalier exulta.
– Voilà une élève qui ne m’a jamais fait
honte. Qu’il s’agisse de chevalerie, d’héraldique, de chasse à
courre ou de quoi que ce soit, je puis toujours me tourner vers
Mary. Elle pourrait faire rougir plus d’un homme.
– Dont moi ; fit Nigel.
– Ah, mon garçon, tu es un Salomon à côté
de certains d’entre eux. Écoute donc, pas plus tard que la semaine
passée, ce ridicule jeune Lord de Brocas se trouvait ici et
prétendait avoir vu une compagnie de faisans dans les bois. Un tel
parler eût été la ruine du jeune seigneur à la cour. Comment
aurais-tu dit, Nigel ?
– Bien certainement, seigneur, j’aurais
dit une troupe de faisans.
– Bravo, Nigel… Une troupe de faisans,
tout comme on dit une troupe d’oies, un vol de canards, une bande
de bécasses ou une volée de bécassines. Mais une compagnie de
faisans ! Quel langage est-ce là ? Je l’ai fait s’asseoir
là où tu te trouves, Nigel, et j’ai vu le fond de deux pots de vin
du Rhin avant que de le laisser partir. Eh bien, malgré cela, je
crains bien qu’il n’ait pas tiré grand profit de la leçon, car il
n’avait d’yeux que pour Édith, alors qu’il aurait dû n’avoir
d’oreilles que pour moi… Mais où est-elle ?
– Elle est partie, père.
– Elle se retire toujours lorsqu’elle a
l’occasion d’apprendre quelque chose d’utile. Mais le souper va
être prêt bientôt et nous avons un jambon de sanglier, tout frais
de la forêt, sur lequel je voudrais avoir ton avis, Nigel, en plus
de quoi nous avons encore un pâté de venaison provenant des chasses
mêmes du roi. Le garde forestier et les verdiers ne m’ont point
oublié encore et mon garde-manger est toujours bien garni. Souffle
trois fois dans cette corne, Mary, afin que les varlets dressent la
table, car l’ombre qui s’étend et ma ceinture qui me serre moins
m’annoncent qu’il est l’heure.
Chapitre 12 COMMENT NIGEL COMBATTIT L’INFIRME DE SHALFORD
À l’époque où se passe cette histoire, toutes
les classes de la société, sauf peut-être la plus pauvre,
consommaient beaucoup mieux qu’elles ne l’ont jamais fait depuis
viande et boissons. Le pays était garni de vastes forêts – on en
comptait soixante-dix en Angleterre seulement, et certaines
allaient jusqu’à couvrir un demi-comté. Le gros gibier de chasse y
était strictement préservé, mais les animaux plus petits (lièvres,
lapins et oiseaux qui foisonnaient autour des halliers) avaient tôt
fait de trouver le chemin du pot d’un pauvre homme. L’ale était bon
marché, et plus encore l’hydromel que chaque paysan faisait
lui-même avec un peu de miel sauvage pris sur les troncs d’arbres.
Il y avait aussi de nombreuses boissons semblables
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