Sir Nigel
l’une était une grande
jeune femme élancée et noire, montée sur un genet blanc, et l’autre
un homme d’âge, épais et apoplectique, dont le poids semblait faire
ployer le dos du bidet gris qui le portait.
– Holà, Nigel ! cria-t-il. Mary m’a
dit que tu partais ce matin et nous avons attendu ici plus d’une
heure pour avoir la chance de te voir passer. Allons, mon garçon,
buvons une dernière pinte de bonne ale anglaise, car plus d’une
fois devant les vins français tu auras envie de sentir la mousse
blanche sous ton nez.
Mais Nigel dut décliner l’invitation, car il
lui aurait fallu aller à Guildford, à un mille en dehors de sa
route. Par contre il accepta la proposition que lui fit Mary de
suivre le sentier jusqu’au sanctuaire, où ensemble ils feraient une
dernière prière. Le vieux chevalier et Aylward attendirent en bas
avec les chevaux, et c’est ainsi que Nigel et Mary se trouvèrent
seuls sous les vieilles arches gothiques, devant le renfoncement où
scintillait le reliquaire d’or de la sainte. Ils s’agenouillèrent
en silence côte à côte et se mirent à prier, puis sortirent de
l’ombre pour reparaître dans la lumière éclatante de ce matin
ensoleillé. Ils s’arrêtèrent avant de redescendre et regardèrent
autour d’eux les vertes pâtures et le Wey bleu serpentant au fond
de la vallée.
– Pour quoi avez-vous prié, Nigel ?
demanda-t-elle.
– J’ai prié pour que Dieu et Ses saints
me gardent mon courage et me permettent de revenir de France
couvert de gloire, afin que je puisse me présenter devant votre
père et lui demander votre main.
– Réfléchissez bien à ce que vous dites,
Nigel, répondit-elle. Mon cœur seul pourrait dire ce que vous êtes
pour moi. Mais je préférerais ne plus jamais porter le regard sur
vous plutôt que de rabattre, ne fût-ce que d’un pouce, ce degré
d’honneur auquel vous voulez atteindre.
– Que non, chère et douce Dame. Comment
pourriez-vous le rabattre, puisque c’est votre pensée qui armera
mon bras et soutiendra mon cœur ?
– Réfléchissez encore, mon doux seigneur,
et ne vous considérez comme lié par aucune des paroles que vous
venez de prononcer. Qu’il en soit de ces mots comme de la brise qui
nous souffle au visage et qui s’efface pour ne plus jamais
reparaître. Votre âme a un grand besoin d’honneur, et c’est tendue
vers ce but qu’elle lutte. Y aurait-il donc encore place en elle
pour de l’amour ? Serait-il possible que ces deux sentiments
vivent au même degré dans un seul esprit ? Souvenez-vous donc
que Galaad et d’autres grands chevaliers de l’ancien temps ont rayé
les femmes de leur vie afin de pouvoir consacrer tout leur cœur et
toutes leurs forces à la conquête de l’honneur. Ne craignez-vous
point que je ne vous sois une charge et que votre cœur ne recule
devant quelque tâche honorable, afin de ne me point causer de la
peine ou du chagrin ? Réfléchissez bien devant que de me
répondre, mon bon seigneur, car mon cœur se briserait s’il devait
se faire que, par amour pour moi, vous ne puissiez accomplir les
espoirs et les promesses que vous avez en vous.
Nigel, ébloui, la regarda. L’âme qui
transparaissait sur le visage hâlé de la jeune femme lui conférait
une beauté plus rare encore que celle de sa sœur. Il s’inclina,
saisi par la noblesse de la jeune femme, et lui baisa la main.
– Vous serez sur mon chemin l’étoile qui
me guidera pour m’aider à progresser. Nos deux âmes sont unies dans
la conquête de l’honneur. Comment, dès lors, pourrions-nous reculer
puisque notre but est le même ?
Elle secoua fièrement la tête.
– C’est ce qu’il vous semble en ce
moment, mon bon seigneur, mais il en sera peut-être autrement
lorsque les ans passeront. Comment prouverez-vous que je suis
effectivement une aide et non une gêne ?
– Par mes actions d’éclat, belle et noble
Dame. Et ici même, dans ce sanctuaire de Sainte-Catherine, en ce
jour de la fête de sainte Marguerite, je fais serment d’accomplir
trois faits d’armes en votre honneur, comme preuve de mon amour
pour vous et avant de reporter les yeux sur vous. Et cela vous
prouvera que, même si je vous aime, je ne laisserai cependant point
votre pensée s’interposer entre moi et les actions honorables.
Le visage de Mary s’illumina de fierté et
d’amour.
– Moi aussi, je fais un vœu, dit-elle, au
nom de sainte Catherine dont le sanctuaire se dresse ici près
Weitere Kostenlose Bücher