Sir Nigel
d’un aussi vaillant
gentilhomme.
– Je vous remercie, messire, fit Nigel
faiblement. Je me réjouis, moi aussi, d’avoir rencontré un
adversaire aussi débonnaire et j’aurai toujours en esprit le
plaisir que j’ai eu de notre rencontre.
Ayant dit ces mots, il posa sa tête saignante
sur le front d’airain de son ennemi et s’évanouit.
Chapitre 15 COMMENT LE FURET ROUGE ARRIVA À COSFORD
Le vieux chroniqueur, dans ses
Gestes du
sieur Nigel
, s’est lamenté dans son récit désordonné du fait
que, sur trente et une années consacrées à faire la guerre, son
héros n’en avait pas passé moins de sept à se soigner de ses
blessures ou à se remettre de ces maladies qui naissent des
privations et de la fatigue. Tel fut en tout cas le destin qui
l’attendait au seuil de sa carrière, au début de la grande
aventure.
Étendu sur une couche dans une chambre mal
meublée et basse de plafond qui donnait, en dessous des tours
carrées à mâchicoulis, sur la cour intérieure du château de Calais,
il gisait à demi inconscient, pendant que de grandes actions
d’éclat se déroulaient sous sa fenêtre. Blessé en trois endroits,
avec une fracture du crâne provoquée par la poignée de la masse du
Furet, il resta entre la vie et la mort, son corps meurtri
l’entraînant dans l’ombre de l’éternité et son jeune esprit le
maintenant dans ce monde.
Comme dans quelque rêve étrange, il eut
vaguement conscience que des faits d’armes se déroulaient dans la
cour en bas. La mémoire lui revint faiblement dans la suite. Il se
souvint d’un cri soudain, d’un bruit métallique, de coups sur les
puissantes portes, du grondement confus de voix, d’un cling clang,
comme si cinquante forgerons frappaient ensemble sur leurs
enclumes, et enfin de l’affaiblissement du bruit, des geignements
sourds, des appels perçants à tous les saints, du murmure plus
mesuré de plusieurs voix et du cliquetis de pieds armés.
Parfois, il avait traîné son corps affaibli
jusqu’à la fenêtre où, cramponné aux barreaux de fer, il avait
suivi la scène sauvage qui se déroulait au-dessous de lui. À la
lueur glauque et rougeâtre des torches tenues aux fenêtres et sur
les toits, il avait pu voir la ruée et le tourbillon des
combattants, au milieu du scintillement des armes et des armures.
Comme dans une vision sauvage, il revit par la suite la grandiose
beauté du tableau avec les lambrequins flottants, les cimiers ornés
de pierres précieuses, les blasons et la richesse des cottes
d’armes et des écus où les sables, gueules, argents et vairs se
mêlaient dans tous les types de sautoirs, de bandes et de chevrons.
Tout cela brillait en bas comme une floraison mouvante et
multicolore, s’écrasant, se gonflant, remontant, s’affaiblissant
dans l’ombre pour reparaître aussitôt en pleine lumière. Il
distingua les écus de gueules de Chandos et il vit la grande
silhouette de son maître, ouragan de la guerre, causant de
terribles ravages autour de lui. Il y avait aussi les trois
chevrons de sable sur fond d’or qui distinguaient le noble Manny.
Quant à ce puissant cavalier armé d’une épée, ce devait être le roi
Édouard en personne, puisque lui et le jeune homme agile à l’armure
noire qui le suivait étaient les seuls à ne point porter de
symboles héraldiques.
– Manny ! Manny ! Georges pour
l’Angleterre ! criaient des voix enrouées auxquelles d’autres
répondaient aussitôt : À Chargny ! À Chargny ! Saint
Denis pour la France !
Ce vague souvenir de tourbillon traînait
encore dans l’esprit de Nigel lorsque les brumes enfin se
dissipèrent et qu’il se retrouva affaibli mais lucide sur sa couche
dans la tour d’angle. À côté de lui, pétrissant de la lavande entre
ses gros doigts pour la répandre sur le sol et les linges, se
tenait Aylward l’archer. Son casque d’acier se balançait à la
pointe de son grand arc appuyé contre le pied de la couche, tandis
que lui-même, assis en bras de chemise, chassait les mouches et
éparpillait les herbes odoriférantes sur son maître
inconscient.
– Sur ma vie ! s’écria-t-il tout à
coup, avec un sourire de toutes ses dents. Je remercie la Vierge et
tous les saints pour ce spectacle béni ! Je n’aurais jamais
osé retourner à Tilford si je vous avais perdu. Trois semaines que
vous êtes resté là, à parler tout seul comme un petit enfant, mais
à présent je vois dans vos yeux que vous êtes redevenu
Weitere Kostenlose Bücher