Souvenir d'un officier de la grande armée
visage du roi était d’une placidité remarquable. Il causait, comme à son ordinaire, avec les personnes qu’on lui présentait, sans que rien indiquât sur ses traits calmes une grande résolution prise. Il s’entretint assez longtemps avec l’Hospodar de Moldavie, qui, dit-on, lui exprimait ses vœux pour qu’il pût vaincre la résistance qu’on apportait à ses intentions conciliatrices, et à qui il répondait : « On y a songé. » Quoi qu’il en soit, ce fut en rentrant dans son cabinet, à l’issue de cette réception, que les fatales ordonnances de juillet furent signées, fatales pour lui et sa famille surtout.
Ce fut la dernière messe que j’entendis à Paris, et la dernière visite que je fis aux Bourbons de la branche aînée.
LA RÉVOLUTION DE 1830
LES ORDONNANCES
26 juillet. – Dès le matin de ce grand jour, le régiment prit les armes pour passer la revue administrative de M. le baron de Joinville, intendant militaire de la première division, et se rendit à cet effet dans l’enclos du collège Henri IV, derrière le Panthéon. À dix heures, la troupe était rentrée dans ses quartiers, et les officiers dans leurs logements, sans qu’aucun bruit fût parvenu à nos oreilles sur ce qui agitait déjà Paris. À onze heures, j’ignorais encore complètement que la capitale était en émoi et que j’étais sur un volcan qui devait renverser un trône, dont j’étais appelé à devenir un des défenseurs. Un violent coup de sonnette me tira de cette tranquillité d’esprit. C’était mon colonel qui venait m’annoncer les foudroyantes nouvelles du Moniteur officiel : la publication de plusieurs ordonnances royales, détruisant la liberté de la presse, annihilant divers articles de la Charte constitutionnelle, du Code civil et du Code d’instruction criminelle, annulant les lois électorales votées par les pouvoirs législatifs, supprimant les garanties accordées à la liberté individuelle et dissolvant la Chambre des députés.
Je fus glacé d’épouvante à cette énumération odieuse et à l’idée des malheurs qui allaient se répandre sur notre France. Il semblait, par la douloureuse impression que j’en ressentis, que je pressentisse déjà la majeure partie des sinistres événements qui allaient suivre. Le colonel me dit en se retirant : « Il y aura aujourd’hui du bruit dans Paris. Demain, on tirera des coups de fusil pour protester contre ce coup d’État et le faire avorter, s’il est possible. »
Je sortis pour tâcher de lire le Moniteur ; je ne pus y parvenir ; on se l’arrachait, on faisait queue dans les cabinets pour l’avoir à son tour. Des groupes nombreux, dans les rues, causaient avec animation ; les places se remplissaient de jeunes gens, qui parlaient haut et se concertaient déjà pour résister à la tyrannie menaçante. Les figures étaient tristes, concentrées ; une grande agitation se manifestait chez tous les individus qui s’abordaient. Après avoir longtemps parcouru divers quartiers de Paris, pour étudier l’opinion publique, et être sorti de dîner, je fus me promener dans le jardin du Luxembourg. L’affluence y était beaucoup plus grande que de coutume. L’événement du jour faisait le sujet de toutes les conversations. J’entendis des prêtres qui disaient, en parlant de Charles X : « Le voilà donc maître, roi absolu ! Dieu l’a inspiré ! » Les insensés ! J’étais indigné, je me retirai de bonne heure, le cœur navré et livré à de bien pénibles réflexions.
LES TROIS GLORIEUSES – 27 JUILLET
À mon réveil, j’appris qu’il y avait eu, le soir, au Palais-Royal et dans les rues environnantes, un grand tumulte et des attroupements très considérables : on préludait. À trois heures et demie du matin, je montai à cheval, pour me rendre au Champ de Mars, où le régiment devait s’exercer pour son instruction ordinaire.
Au premier repos, le colonel réunit les officiers autour de lui pour leur parler de ce qui préoccupait si vivement les esprits. Il leur dit qu’ils seraient dans les choses possibles que le régiment fut appelé à prendre les armes, dans la journée, pour maintenir l’ordre et dissiper les attroupements. « Si cela arrive, je recommande à tout le monde, chefs et soldats, beaucoup de prudence, du sang-froid et de l’indifférence pour les provocations, injures et menaces qui pourraient vous être faites. Ne prenez en aucun cas l’initiative,
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