Souvenir d'un officier de la grande armée
particulière, à la même table que la veille. L’ordinaire était assez bon, et les convives d’assez bonne maison pour ne pas craindre de se compromettre.
Le départ du roi pour Colmar fut suivi d’une grande inspection, passée par le lieutenant-général baron Sémélé, sous les ordres duquel Barrès avait servi à Mayence. Le général « fut plus qu’étonné de trouver le régiment aussi avancé dans son instruction ». Tous avaient travaillé jour et nuit pour obtenir ce résultat, « le maréchal Soult voulant avoir 500 000 hommes sous les armes, habillés et exercés, pour les présenter aux puissances du Nord dans le courant de l’été, si elles persistaient à vouloir nous attaquer ». Barrès avait eu sa large part de cette activité, et son bataillon, de l’aveu même de son colonel, était « plus avancé que les autres ».
INSURRECTIONS À STRASBOURG ET À LYON
Le 13 septembre 1831, il obtint une permission d’un mois, pour aller voir à Charmes son fils et sa famille. Mais de graves événements survenus à Strasbourg nécessitèrent son retour immédiat.
Le colonel m’écrivit de rentrer tout de suite à ma garnison, ma présence étant rendue nécessaire par une espèce d’émeute, qui venait de soulever la garde nationale, contre une des lois de l’État : insurrection comprimée, mais qui, pouvant se renouveler, exigeait que tout le monde fût à son poste. Prévenu le 6, j’étais en route, une heure après, pour Lunéville, où je pris la diligence de Paris à Strasbourg.
7 octobre. – L’essai d’insurrection avait été tenté par la partie républicaine de la garde nationale, sous le prétexte d’affranchir des droits d’entrée à la frontière les bestiaux étrangers, mais réellement pour essayer ses forces et ouvrir les portes du boulevard de la France à un membre de la famille impériale napoléonienne, si la République ne pouvait pas être proclamée. À cet effet, quatre à cinq cents gardes nationaux prirent les armes dans la nuit du 4 au 5 octobre, sans être autorisés par leurs chefs, et marchèrent sur le petit Rhin, en forçant le poste de la porte d’Austerlitz à leur livrer passage, pour aller incendier le bureau de la douane, et faire entrer les bestiaux étrangers sans payer les droits imposés par la loi.
L’autorité militaire avait été prévenue à temps par un sergent du régiment. Elle fit marcher de nuit mon bataillon, sous le commandement du lieutenant-colonel, à travers la campagne, pour prêter main forte aux employés de la douane. Un peu après le jour, quand les gardes nationaux se présentèrent sur le petit Rhin, leur surprise fut grande de trouver la route barrée ; ils se débandèrent et furent ramenés en ville, baïonnette aux reins, sans qu’on eût à en faire usage cependant. Une fois rentrés, ils se réunirent aux mécontents qui étaient restés, mais ceux-ci, contenus par la garnison qui était sous les armes depuis le point du jour, ne furent pas plus heureux dans leurs tentatives de désordre. Ils allaient se retirer, les uns et les autres, pour manger leur choucroute, lorsque le préfet, par peur ou faiblesse, prit sur lui de réduire les droits de moitié. Cette lâche condescendance aurait tout perdu ; heureusement, dans la journée, une dépêche télégraphique annonça la cessation de l’arrêté du préfet, et la destitution de ce magistrat, qui reçut l’ordre de se rendre à Paris sur le champ, pour rendre compte de sa conduite.
Lorsque j’arrivai en hâte de Charmes, le calme était à peu près rétabli, et les troupes, appelées de l’extérieur, à la veille de rentrer dans leurs cantonnements.
J’ai su, bien des années après, qu’un militaire distingué, avec lequel je fus en fréquentes relations avant et après cet événement, ne fut pas étranger à cette échauffourée napoléonienne. C’était le commandant Parquin, chef d’escadron de gendarmerie à Strasbourg, le compagnon du prince Louis-Napoléon, lors de ses tentatives insurrectionnelles à Strasbourg, en 1837, et à Boulogne en 1840. Il est mort dernièrement à Ham, prisonnier d’État.
Novembre. – L’insurrection de Lyon fut bien près de nous entraîner dans le mouvement des troupes qui fut ordonné à cette époque pour reprendre cette ville, d’où l’émeute venait de chasser les autorités. Le ministre de la Guerre, maréchal Soult, avant de partir pour Lyon avec le prince royal, avait donné des
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