Souvenir d'un officier de la grande armée
ordres pour que des troupes, appelées de tous les coins de la France, se rendissent à marches forcées sous les murs de Lyon. Le régiment devait en faire partie, mais par une cause qu’on n’a pu expliquer, la dépêche télégraphique ne parvint pas. Elle s’était probablement évaporée dans les airs ! On n’eut connaissance de cet ordre que par l’arrivée d’une estafette, expédiée de Lyon, qui ordonnait au colonel de rentrer à Strasbourg, la coopération de son régiment n’étant plus nécessaire : la ville de Lyon avait été évacuée par les insurgés et le gouvernement du roi rétabli dans toute sa plénitude. L’estafette, ne rencontrant pas le 15 ème léger en route, poussa jusqu’à Strasbourg, et trouva, chaudement couché dans son lit, le colonel qu’elle aurait dû rejoindre pataugeant dans les boues de la Franche-Comté. Le colonel fut fort surpris de recevoir un contrordre, pour un ordre qu’il n’avait pas exécuté. Cette erreur ou négligence des bureaux de la guerre nous sauva d’un départ précipité, de seize journées de marches forcées par la boue, la pluie et la neige, et de grandes fatigues en pure perte.
LE CHOLÉRA DE 1832
Au mois d’avril 1832, Barrès reçut la visite de ses beaux-parents et de sa belle-sœur, qui lui amenaient son jeune fils ; il eut la joie de les garder quelques jours auprès de lui et de montrer le Rhin à son fils. Mais un terrible fléau allait multiplier pour lui les deuils.
Mai et juin 1832. – Peu de jours après le départ de mes visiteurs, on m’écrivit que le choléra, qui faisait de grands ravages à Paris et dans les environs, venait de se manifester à Charmes avec beaucoup de violence. Cette sinistre nouvelle m’accabla d’épouvante. Comment croire possible l’invasion de cette terrible maladie dans une ville saine, propre, aérée, quand elle n’avait pas pénétré en Lorraine, et qu’elle semblait à plus de quarante lieues de distance du point où elle surgissait ainsi ? Comment avait-elle passé par-dessus de grandes villes, des montagnes et des fleuves, sans laisser aucune trace de son gigantesque enjambement ? Ce furent de cruelles appréhensions à endurer.
Elles ne se réalisèrent que trop. Mon beau-frère, notaire à Charmes, âgé de moins de trente ans, fort et bien portant, fut frappé de cet horrible mal, le 24 juin, et peu d’heures après ce n’était plus qu’un cadavre. Sa jeune fille, l’aînée de ses deux enfants, le suivit de près. Dans le même moment, une de mes belles-sœurs, Mme Élisa Belfoy, se mourait d’une maladie de langueur, et succomba le 5 décembre. Tant de malheurs arrivés dans la famille en si peu de temps me brisèrent le cœur.
UNE JOURNÉE RÉVOLUTIONNAIRE
9 juin. – Les journées révolutionnaires et républicaines des 5-6 juin, à Paris, de sanglante mémoire, eurent un retentissement à Strasbourg, où les révolutionnaires de la capitale avaient des adeptes fanatiques. Nous fûmes sur le qui-vive jusqu’au 9 ; dans cette journée, les frères et amis, honteux de leur inertie, signifièrent au préfet que la République étant proclamée à Paris, ils voulaient aussi qu’elle le fût à Strasbourg. Ils disaient que ce fait était attesté par toutes les correspondances et que le gouvernement déchu, en sortant de Paris, avait fait briser la ligne des signaux, pour que ce grand changement ne fût pas connu en province. Chercher à les convaincre qu’ils répandaient des mensonges, eût été en pure perte : ils voulaient faire du bruit, montrer de la sympathie pour les révoltés de Paris, et prouver qu’ils étaient dignes de les imiter. Pour rassurer la population, la garnison prit les armes, et ses bataillons se portèrent sur différents points de la ville.
Mon bataillon fut établi sur la place d’Armes, où il resta depuis trois heures de l’après-midi jusqu’à une heure du matin. Pendant le jour, ne parurent sur la place que des enfants qui sifflaient, insultaient, ou jetaient des projectiles peu dangereux aux officiers et aux soldats. Mais la nuit venue, les meneurs entrèrent en jeu ; les attroupements devinrent considérables et les cris anarchiques retentissants. Pour en finir avec cette tourbe d’aboyeurs, le général Brayer me donna l’ordre de les charger à la baïonnette et de faire évacuer la place. Ce qui fut exécuté sans accident ni résistance. Plus tard, il me donna l’ordre de faire lire par un commissaire de
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