Souvenir d'un officier de la grande armée
rendu impossible à cause de la pluie torrentielle.
Le 26, mon indisposition, la fatigue et les émotions de la veille ne me donnèrent pas l’envie de visiter Munich.
Les 5, 6 et 7 novembre, sur les bords du Danube, nous prîmes plusieurs fois les armes, surtout la nuit, pour veiller à la sûreté du quartier général impérial, car une portion très forte de l’armée russe occupait encore la rive gauche. Les patrouilles, sur la rive, par ce temps très froid et ce brouillard épais, étaient peu récréatives.
Le 8 novembre, à Strenberg, bourg où nous fûmes tous logés si à l’étroit, que plus de la moitié des hommes de la garde furent contraints de bivouaquer. Malgré la neige qui tombait par avalanche, les fureteurs des compagnies (et le nombre en était grand) découvrirent des caves d’excellent vin de Hongrie. On en but pour se réchauffer, pour se restaurer, pour dissiper l’ennui qu’on éprouvait d’être empilés, étouffés dans ces chambres, où l’on ne pouvait pas remuer ni bras, ni jambes ; enfin, on but tant et tant que, s’il avait fallu faire le coup de feu dans la nuit, on n’aurait pas su où prendre les cartouches… Spectateur bénévole de cette gigantesque orgie, ne buvant pas, ou du moins très peu, j’admirai, sans en être ébloui, la surprenante consommation qu’en faisaient certains hommes. C’étaient de véritables Gargantuas.
Le lendemain 9, dans une longue et fatigante marche, la plupart des hommes, obligés de se coucher sur le bord du chemin, faute de jambes pour suivre leurs camarades, prouvaient suffisamment que ce vin était plus nuisible que favorable à la santé.
Dans la journée, nous passâmes sur le champ de bataille du terrible combat d’Amstetten (5 novembre) entre les grenadiers d’Oudinot, réunis à la cavalerie du prince Murat, et les Russes, et ensuite dans la petite ville de ce nom. On eut à passer plusieurs rivières, dont les ponts, coupés et rétablis à la hâte, retardèrent beaucoup la marche.
Le 12 novembre, à moitié chemin entre Saint-Poelten et Burkesdorf, nous rencontrâmes les magistrats de Vienne, qui venaient implorer l’Empereur de ménager la capitale et leur souverain, et lui offrir les clefs de la ville. L’Empereur nous suivait de près. Il passa donc au milieu de nous avec ces Viennois. Ils furent alors témoins d’une scène qui dut leur prouver combien l’Empereur était aimé par ses troupes.
Nous montions une côte extrêmement rapide. Nous bordâmes la haie de chaque côté de la route. Le 4 ème corps, qui montait la montagne en même temps, fit le même mouvement que toute la Garde. Dans un instant, les cris de « Vive l’Empereur » se communiquèrent sur toute la ligne, les chapeaux au bout des baïonnettes ; les voitures de l’Empereur allant au petit pas, les députés eurent tout le temps de recueillir les applaudissements que la Garde et l’armée témoignaient à leur souverain. L’Empereur était dans une des voitures de la cour ; c’était la première fois qu’il s’en servait depuis son départ de Paris.
Dans le Rhin, toutes les fois que Sa Majesté nous rencontrait en route, nous nous arrêtions pour lui rendre les honneurs militaires, et la saluer de nos acclamations. Tous les corps de l’armée en faisaient autant, à moins d’ordre contraire. Souvent, dans ces revues inattendues, l’Empereur complimentait les régiments qui s’étaient distingués dans une affaire récente, complétait les cadres et distribuait les décorations. C’était une circonstance fortuite, qui était vivement désirée et qui satisfaisait bien des désirs.
13 novembre. – À une petite demi lieue de Vienne, au lieu de continuer notre route, nous entrâmes dans un village à gauche, appelé Schœnbrunn. Ce contretemps nous fit beaucoup de peine, car nous pensions loger en ville. Ce qui ne nous fit nullement plaisir, c’est que, du milieu de la place de ce village, on découvrait Vienne à travers le vallon ; cette quantité de clochers, flèches, tours, faisaient un contraste frappant avec la campagne, qui était couverte de neige. Sur cette même place s’élevait le palais impérial que l’Empereur avait choisi pour sa résidence.
Nous y fûmes logés pour faire le service du palais. Réveillé dans la nuit, sans être commandé de service, je fus contraint, avec d’autres camarades, pas plus amoureux que moi de trotter à de telles heures, de faire autour du parc des patrouilles qui
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