Souvenir d'un officier de la grande armée
diane fut battue dans tous les régiments ; on prit les armes et on resta formé en bataille jusqu’à ce que les reconnaissances fussent rentrées. La matinée était froide, le brouillard assez épais, un silence complet régnait dans toutes les lignes. Ce calme si extraordinaire, après une soirée aussi bruyante, aussi folle, avait quelque chose de solennel, d’une majestueuse soumission aux décrets de Dieu : c’était le précurseur d’un orage impétueux, meurtrier, qui élève et abat les empires.
L’Empereur, entouré de ses maréchaux et des généraux d’élite de son armée, était placé sur un mamelon dont j’ai parlé, distribuant des ordres pour la disposition de ses troupes et attendant que le brouillard se dissipât pour donner le signal de l’attaque. Il fut donné, et, peu de temps après, toute cette immense ligne fut en feu.
Pendant ce temps là, le 1 er corps, qui était derrière, se porta en avant, en passant à droite et à gauche du mamelon. Saluant, criant : « Vive l’Empereur ! » les chapeaux au bout des épées, des sabres, des baïonnettes, le maréchal Bernadotte en tête, portant le sien de la même manière, et tout cela au bruit des tambours, de la musique, des canons et d’une vive fusillade.
Après le passage du 1 er corps, notre mouvement commença ; nous formions la réserve : elle se composait de 20 bataillons d’élite, dont 8 de la Garde impériale, 2 de la garde royale italienne, et 10 de grenadiers et de voltigeurs réunis. Derrière nous, marchaient la cavalerie de la Garde et plusieurs bataillons de dragons à pied. Les bataillons d’élite étaient ployés en colonne serrée par division, à distance de déploiement, ayant quatre-vingts pièces de canon dans leur intervalle. Cette formidable réserve marchait en ligne de bataille, en grande tenue, bonnets à poil et plumets au vent, les aigles et les flammes découvertes, indiquant d’un regard fier le chemin de la victoire. Dans cet ordre, nous franchîmes la plaine et gravîmes les hauteurs aux cris de « Vive l’Empereur ! » Parvenus sur le plateau que les Russes occupaient quelques instants auparavant, l’Empereur nous arrêta pour nous haranguer, après nous avoir fait un signe de la main, qu’il voulait parler. Il dit d’une voix claire et vibrante qui électrisait : « Chasseurs, mes gardes à cheval viennent de mettre en déroute la Garde impériale russe ; colonels, drapeaux, canons, tout a été pris ; rien n’a résisté à leur intrépide valeur : vous les imiterez. » Il partit aussitôt après pour aller faire la même communication aux autres bataillons de réserve.
L’armée russe était percée dans son centre et coupée en deux tronçons. Celui de gauche, celui qui faisait face à la droite de l’armée française, était aux prises avec les corps des maréchaux Soult et Davoust ; celui de droite, avec les corps de Bernadotte et Lannes. La réserve liait les quatre corps, et tenait séparé ce qui avait été disjoint par les habiles manœuvres du général en chef et la bravoure des soldats. Après un quart d’heure de repos, l’infanterie de la Garde fit un changement de direction, à droite, pour aller seconder le 4 ème corps, en marchant sur les hauteurs.
Parvenu à la descente qui domine les lacs, je sortis un instant des rangs, et je vis, par ce moyen, dans la plaine, la lutte terrible engagée entre le 4 ème corps et la portion de l’armée russe qui lui faisait face, ayant les lacs à dos. Nous arrivâmes pour lui donner le coup de grâce, et achever de la jeter dans les lacs. Ce dernier et fatal mouvement fut terrible. Qu’on se figure 12 à 15 000 hommes se sauvant à toutes jambes sur une glace fragile et s’abîmant presque tous à la fois.
Quel douloureux et triste spectacle, mais aussi quel triomphe pour les vainqueurs ! Notre arrivée près des lacs fut saluée par une vingtaine de coups de canon, sans nous faire grand mal. L’artillerie de la Garde eut bientôt éteint ce feu, et tira ensuite avec une vivacité incomparable sur la glace pour la briser et la rendre impropre à porter des hommes. La bataille était complètement gagnée, une victoire sans exemple avait couronné nos aigles d’immortels lauriers.
Après quelques instants de repos, nous revînmes sur nos pas, en suivant à peu près le même chemin, et en traversant le champ de bataille dans toute sa longueur. La nuit nous prit dans cette marche ; le temps, qui
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