Spartacus
comme si ses longs bras et ses mains énormes pesaient si lourd qu’ils le forçaient à se courber vers le sol.
Il est à présent à deux pas de Spartacus. Il lève ses deux poings serrés qui vont s’abattre comme une masse.
« Tue, tue, tue ! »
Sont-ce ces cris qui le surprennent et le font hésiter ?
Spartacus bondit. Les tranchants de ses mains cisaillent l’air, frappent la gorge de Galvix le Dace dont les yeux se révulsent ; il chancelle, s’affaisse, s’agenouille, et Spartacus, de la pointe du pied, le frappe à nouveau à la gorge, puis recommence, atteignant l’estomac, le menton. La tête de Galvix est rejetée en arrière, sa gorge offerte.
« Tue, tue, tue ! »
Spartacus pourrait bondir sur cette gorge, la serrer, l’étrangler. Il avance déjà les mains.
« Tue, tue, tue ! »
Mais il recule de plusieurs pas.
Combien de temps s’écoule-t-il avant que le soleil qui a poursuivi sa course n’aveugle Spartacus ?
Le Thrace ne voit pas Galvix qui se redresse, avance d’un pas lent, les yeux mi clos.
Lorsqu’il entend la respiration hachée, si proche, du Dace, il est trop tard.
Galvix se jette en avant, écrase Spartacus sous sa masse.
Spartacus tombe au milieu des cris : « Tue, tue, tue ! »
Galvix est sur lui. Ses genoux enfoncent les bras écartelés de Spartacus dans la terre. Son poids comprime la poitrine du Thrace.
La mort a donc ce visage aux yeux gris ?
Spartacus ne détourne pas le regard. Il veut la voir dans ce silence qui se déploie, se prolonge, recouvre le forum, mais que, tout à coup, perce, aigu, un cri de femme :
— Vis, vis, Spartacus ! Vis, par Dionysos !
Spartacus tourne la tête comme s’il cherchait à voir Apollonia, mais il découvre seulement le bleu léger du ciel de son enfance que la mort va noircir.
Spartacus ne connaîtra pas les grottes de Judée. Il ne rencontrera pas le Maître de Justice dont lui parlait Jaïr le Juif.
Brusquement, ce hurlement qui roule au-dessus de lui…
Galvix se dresse, son corps immense masque le ciel.
Il est debout, les poings dressés. Spartacus ne bouge pas.
Galvix commence à courir vers la ligne de boucliers hérissés de javelots.
Les soldats dans les gradins se sont levés, gesticulent, hurlent, cependant que Galvix, les poings en avant, bras tendus devant lui, continue sa course, de plus en plus vite, comme s’il ne voyait pas la carapace des boucliers, les pointes des javelots, ou comme s’il pensait pouvoir les écarter, les renverser avec son énorme corps.
Il hurle à son tour, et sa détermination est telle que les légionnaires vers lesquels il fonce reculent.
Il est sur eux. Il réussit à arracher un des boucliers. Plusieurs javelots s’enfoncent dans sa poitrine et ses cuisses, mais il a saisi à la gorge un des légionnaires. Il tombe avec lui sans que ses mains se dénouent, cependant que d’autres légionnaires lui entaillent le dos à grands coups de glaive. Sa tête roule, mais ses doigts continuent de serrer le cou du Romain dont les jambes tout à coup se raidissent.
Spartacus s’est relevé.
Pour lui, la mort n’a pas obscurci le ciel.
14
Spartacus avance, tête baissée.
Il n’a pas un regard pour ces hommes et ces femmes qui cheminent avec lui et auxquels il est lié par une corde rugueuse qui enserre le cou et les poignets. Près de lui marchent Jaïr le Juif et Apollonia. L’un ou l’autre parfois lui murmure :
— Tu es vivant, Spartacus.
Apollonia remercie Dionysos, et Jaïr invoque le Dieu unique qui dispose des hommes et des choses, et retient la mort quand la vie d’un homme peut servir Ses desseins de justice.
— Maintenant, tu Lui appartiens, ajoute Jaïr le Juif.
Spartacus semble ne pas entendre.
Parfois, les veines de son cou et de ses bras gonflent. Les muscles de ses cuisses et de ses mollets se contractent, comme s’il se préparait à bondir. Il fait quelques pas plus rapides, mais aussitôt la corde se tend. Elle l’étrangle, lui déchire les poignets, et toute la file d’esclaves auxquels il est attaché geint, grogne, certains trébuchent, et, sur quelques pas encore, Spartacus, qui a continué de forcer l’allure, les entraîne en même temps que la corde lui blesse le cou.
Les légionnaires qui poussent ce troupeau font claquer la lanière cloutée de leurs fouets.
Spartacus rentre la tête dans les épaules et ralentit le pas. Le fouet le cingle, lui entaille le dos. Il ne tressaille
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