Spartacus
on te conduira au centre de cette arène ; tu seras nu, comme Galvix le Dace. Vos corps auront été enduits d’huile. Et vous combattrez jusqu’à ce que l’un de vous deux meure.
Jaïr croise les bras.
— Regarde-moi ! ordonne-t-il.
Spartacus redresse la tête.
— À toi de choisir si tu veux mourir la nuque brisée, comme un chevreau qu’on abat d’un coup de maillet puis qu’on égorge, ou si tu veux te battre comme un homme libre.
— Je ne veux pas tuer un homme qui n’est pas mon ennemi, répond-il. Ne me soigne plus, Jaïr, laisse-moi plutôt mourir.
— Ce n’est pas de ta vie seule que tu décides, mais de la nôtre aussi et de celles que tu protégeras et sauveras si tu l’emportes. Dieu t’a mis sur ma route pour que je t’enseigne.
Spartacus secoue la tête, s’accroche aux barreaux, se hisse, fait quelques pas.
— Je croyais que ton Dieu unique voulait qu’on ne tue pas, objecte-t-il. Tu m’as dit cela, dans la forêt de pins. Tu m’as parlé du Maître de Justice qui juge les hommes. Et tu veux aujourd’hui que je tue ce Galvix dont j’ignore jusqu’au visage ?
Tu veux sauver ta vie, Jaïr, c’est pour cela que tu me pousses à combattre. Mais les Romains ne nous épargneront pas. Ni moi, ni toi. Alors, autant choisir sa mort.
— Décide seul, Dieu t’inspirera, répond Jaïr. Mais chaque homme a le droit de se défendre, même s’il doit tuer pour cela.
Spartacus chancelle. Apollonia se précipite, l’enlace, le soutient.
— Dionysos te donnera la victoire, lui dit-elle. Tu tueras Galvix le Dace.
13
Ils enchaînent Spartacus et ordonnent à Jaïr le guérisseur d’enduire le corps nu du Thrace d’une épaisse couche d’huile. Puis ils l’enferment dans la grande tente qui sert de réserve et d’atelier à la VII e Légion. Elle se trouve à l’extrémité du forum, au bord du fossé qui entoure le camp.
Galvix le Dace a été conduit dans une autre tente à quatre cents pas de là.
Spartacus demeure debout dans la pénombre.
Il entend les cris des soldats rassemblés sur les gradins. Les trente paires de prisonniers daces viennent d’entrer sur le forum aménagé en sorte d’arène. Des hommes en armes, épaule contre épaule, leurs javelots et leurs boucliers formant une muraille et une herse dont les pointes brillent au soleil de ce début d’après-midi, entourent cet espace au centre duquel les Daces doivent s’affronter à mains nues.
Le tribun Calvicius Sabinius et le centurion Nomius Castricus ont pris place sur la tribune qui fait face à la tente.
Jaïr et Apollonia sont attachés, mains liées, près des gradins.
Les trompettes sonnent, Sabinius lève son glaive, puis l’abaisse. Les soldats hurlent : « Tue, tue, tue ! »
Après un instant d’hésitation, les Daces se jettent les uns sur les autres, roulent à terre, cherchent les yeux, le sexe, le cou. On ne peut tuer qu’en mutilant, qu’en étranglant. Les ongles, les dents, les mains, les talons, chaque partie du corps devient arme.
C’est une mêlée rouge d’où émergent en chancelant quelques hommes tandis que d’autres tentent de se redresser avant de retomber.
Alors les molosses de Phrygie sont lâchés.
Ils ont le museau allongé, les oreilles pointues, le poil noir. Le sang et cette dizaine d’hommes nus, debout, serrés les uns contre les autres, les attirent. Ils n’aboient pas. Ils bondissent à la gorge, labourent les poitrines de leurs griffes recourbées. Ils déchirent, arrachent. Ils égorgent. Rien ne peut les faire lâcher prise.
« Tue, tue, tue ! » martèlent les soldats dressés sur les gradins, cependant que des battements de tambour scandent leurs cris.
Bientôt il n’y a plus que des chiens noirs, les crocs enfoncés dans des cadavres sanglants.
Des soldats surgissent, jettent des filets sur cet amoncellement de chair humaine et de bêtes furieuses. On frappe les chiens à coups de gourdin, on les pousse hors du forum, on traîne les corps lacérés.
L’arène n’est plus qu’une étendue d’herbe piétinée.
Les trompettes sonnent à nouveau quand apparaissent, encadrés par des soldats, Spartacus et Galvix.
On leur a ôté leurs chaînes. Ils sont encore aux extrémités opposées du forum. On les pique avec des javelots pour qu’ils marchent l’un vers l’autre.
Ils sont nus, comme des animaux.
Galvix le Dace dépasse des épaules et de la tête Spartacus. Il se tient penché en avant
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