Spartacus
faire des signes à Spartacus, grimacer des mimiques de connivence, paupières mi-closes, leurs lèvres esquissant un baiser.
Une voix forte a tout à coup dominé la rumeur de la foule.
— Je prends le lot, a-t-elle dit. Le Juif, la femme et le gladiateur thrace !
Apollonia a d’abord vu deux hommes, le torse pris dans leurs gilets de cuir, une arme au côté, écarter la foule à grands coups de poing, et, derrière eux, marchant lentement, un troisième homme, râblé, le crâne rasé, un poignard à la ceinture.
Il s’est placé près de Posidionos et ses deux gardes du corps ont bousculé les jeunes gens qui accompagnaient le Grec.
Il s’est adressé à Spartacus :
— Avec moi, tu n’auras que l’obligation de te battre, dit-il. Tu garderas ta femme et ton guérisseur. Tu recevras la meilleure nourriture, et du vin frais. Dans mon ludus, on t’apprendra les secrets des combats et du maniement des armes. Tu seras libre d’aller et venir. Tu ne seras obligé que de combattre. Je suis Cnaeus Lentulus Balatius, le laniste de Capoue. J’organise les jeux. Mon ludus est la meilleure école de gladiateurs de toute la République romaine. Ta vie sera aussi longue que tu le décideras. Si ta femme ne te suffit pas, je t’offrirai toutes celles que tu désireras. Un gladiateur n’est pas un esclave : c’est un homme qui combat pour sa vie.
Paquius s’est avancé.
— Tu parles, tu parles, Lentulus Balatius, mais j’ai déjà un acheteur pour le lot.
Il montre Posidionos, en retrait duquel se tiennent les deux jeunes gens.
— Ce rhéteur grec m’offre…, reprend Paquius.
Lentulus Balatius l’interrompt d’un geste et d’une moue méprisante.
Il se tourne vers l’intéressé.
— Tu veux faire ton giton d’un guerrier thrace, d’un gladiateur ? Tu es fou, Posidionos. Celui-là sera ton maître. Il te fera avaler sa merde ! Mais peut-être cela ne te déplairait-il pas ?
Il hausse les épaules.
— Contente-toi de tes épilés, poursuit-il. Et laisse les gladiateurs à nos jeux.
D’un signe, il invite ses gardes du corps à monter sur l’estrade. Ils bondissent, lui tendent les mains, le hissent.
Lentulus Balatius marche vers Spartacus, se campe devant lui ; son regard examine lentement le corps nu du Thrace.
— Ce menteur de Paquius n’a pas menti. Tu as des muscles de gladiateur et ton corps est beau comme ceux des plus belles statues des villas du Palatin.
De la tête il montre la colline où l’on devine, entre les cyprès et les pins parasols, le marbre et les colonnes des demeures des puissants de la République, sénateurs ou financiers, consuls et préteurs.
— Je t’achète, toi, la femme et le Juif, pour mon ludus de Capoue. Tu seras le gladiateur du laniste Lentulus Balatius !
Il se tourne vers Paquius.
— Je vais te compter cinquante talents.
Paquius lève les bras et dit :
— Le lot est à toi, Balatius !
Il baisse la voix et prévient :
— Méfie-toi, c’est un fauve. Regarde ses yeux. Il ne les baisse jamais. Ce ne sont pas ceux d’un esclave.
— On dresse bien les lions et les tigres, dit Balatius. Nous le dresserons.
Il tend la main, touche l’épaule puis le torse de Spartacus qui détourne la tête, rugit comme pour mordre, mais la corde qui le relie au pieu se tend, lui serre le cou.
Balatius rit et lui flatte l’épaule.
— Calme-toi, je ne suis pas un mauvais maître. Tous les gladiateurs de mon ludus te le diront.
Il s’éloigne et rejoint Paquius.
— Un gladiateur enragé, voilà qui fait un bon spectacle. Le corps de ce Thrace est celui d’un homme qui aime la vie. Dans l’arène, il lui faudra se battre pour la préserver. Il saura, il voudra vaincre.
Balatius se penche vers Paquius.
— Sais-tu pourquoi les gladiateurs les plus féroces sont les meilleurs et les plus fidèles des esclaves ? Parce qu’ils prennent plaisir à vaincre et à tuer.
Il désigne Spartacus d’un mouvement du menton.
— Ce Thrace est fait de la même chair que les autres. Un jour, j’en nourrirai mes fauves.
16
Spartacus se redresse en sursaut.
Il regarde autour de lui comme si le sommeil lui avait fait oublier cette salle sombre au plafond bas, ces hommes parqués à ses côtés, entravés eux aussi, allongés à même le sol ou assis, le dos appuyé à ce mur de brique dont l’enduit rouge s’écaille.
Il pose sa main sur la cuisse d’Apollonia, recroquevillée près de lui.
Tout
Weitere Kostenlose Bücher