Spartacus
ajoute-t-elle. Ils élèvent les hommes jusqu’à eux, puis les précipitent dans un abîme sans fond. Ils seront jaloux de toi, Spartacus. Ils auront fait ta gloire, mais provoqueront ensuite ton malheur…
Elle hurle, s’accroche à son cou, lui emprisonne les épaules, baise sa poitrine en geignant.
Spartacus ferme les yeux, se penche sur elle, lui embrasse les cheveux, la berce.
Et la nuit passe. Et l’aube vient.
Les gardiens crient qu’il faut se mettre en route, que trois chariots les attendent, qu’ils seront ainsi traités comme des animaux de prix, non comme de vulgaires esclaves marqués au fer. Ils sont choisis pour être gladiateurs. Le maître du ludus de Capoue, leur seigneur à tous, Cnaeus Lentulus Balatius, ne veut pas que ses gladiateurs usent leurs forces sur les pavés de la via Appia. Il veut qu’ils puissent dès leur arrivée commencer leur entraînement dans le ludus , puis paraître dans l’arène pour s’y battre vaillamment et y défier la mort avec courage et éclat.
— Toutes les femmes viendront à vous comme des chiennes ou des truies. Elles lécheront vos blessures. Elles vous offriront le meilleur vin, les grives les plus grasses, des tourterelles, des couilles de sanglier rôties. Vous pourrez tout exiger d’elles. Gladiateurs, nous avons la force invincible de la mort entre nos mains. Allons…
Les hommes se lèvent.
Ils se frôlent, s’observent, se défient. Les regards se croisent : celui du Thrace et du Numide, du Celte et du Germain, du Dace et du Gaulois.
Certains de ces hommes ont obtenu, comme Spartacus, le droit d’être accompagnés de leurs femmes. Elles sont entravées elles aussi. Lorsqu’elles sortent de la salle sombre, elles injurient celles qui, dehors, se pâment en regardant apparaître les gladiateurs, tentent de s’approcher d’eux, quémandent une caresse, suivent dans les rues fangeuses de ce quartier de Vélabre les trois chariots qui viennent de s’ébranler, qui se fraient difficilement un passage parmi les étals, au milieu de cette foule bruyante.
Le soleil aveugle Spartacus.
Il se souvient de cet instant crucial du combat qui l’opposa à Galvix le Dace.
Il murmure :
— Je ne le voyais pas. Il pouvait me tuer. Mais il a préféré sa mort à la mienne.
Spartacus se tourne vers Jaïr le Juif assis à ses côtés dans ce premier chariot.
— Pourquoi ?
Jaïr le dévisage, puis dit à voix basse comme on chuchote un secret :
— Chacun de nous est dans la main du Dieu unique. Il voit. Il guide. Oublie le Dace. Oublie les prophéties d’Apollonia, Spartacus. Agis et rêve en homme libre et juste. Ainsi tu suivras le chemin de Dieu.
DEUXIÈME PARTIE
17
Jaïr le Juif plaque ses paumes sur ses oreilles.
Il appuie de toutes ses forces pour que le battement du sang dans sa tête étouffe les hurlements qui déferlent depuis les gradins de l’arène situés au-dessus de ces salles souterraines où lui-même attend.
Il se recroqueville, jambes repliées, front sur les genoux. Il courbe la nuque comme si on le frappait.
« Jugula ! Jugula ! Égorge ! Égorge ! »
La foule martèle le mot d’une voix unique et rauque qui gronde, répète :
« Jugula ! Jugula ! Égorge ! Égorge ! »
Ce roulement entre par les soupiraux, résonne sous les voûtes basses, gagne les couloirs qui conduisent aux bâtiments du ludus accolés à l’amphithéâtre de Capoue, sur cette rive du Vultume, la rivière qui emprisonne la ville dans l’un de ses méandres.
Il suffit ainsi de quelques centaines de pas pour se rendre du ludus à ces souterrains où les gladiateurs sont rassemblés avant de gravir les quelques marches qui permettent d’accéder à l’arène, à ce sable souvent si gorgé de sang qu’il est parsemé çà et là de larges taches brunes.
Tout à coup, c’est le silence, si inattendu, si brutal que Jaïr le Juif lève la tête, regarde autour de lui, puis vers le soupirail dont il s’approche. Il aperçoit en face, à l’autre bout de l’arène, la loge où sont assis les magistrats et patriciens de Capoue, et, debout près d’eux, appuyé à la balustrade, il reconnaît la silhouette de Cnaeus Lentulus Balatius, le maître du ludus, le propriétaire de cette gladiature, l’ordonnateur des jeux.
C’est le moment.
Une voix isolée, brusquement, aiguë, celle d’une femme qui hurle :
— Jugula ! Jugula ! Égorge ! Égorge !
Et le hurlement
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