Spartacus
fuyards assiégés au-dessus d’eux.
Ils ont d’abord essayé de les attaquer, mais plusieurs sont tombés en tentant de franchir le défilé et Claudius Glaber a décidé d’arrêter ces assauts inutiles. La mort ira moissonner seule ces esclaves qui n’ont ni nourriture, ni eau, ni feu.
Il suffit d’attendre.
L’odeur des moutons qui rôtissent, de la soupe d’orge qui bout s’élève jusqu’au plateau.
Spartacus s’allonge.
Il a l’impression que, s’il restait debout, il vacillerait et basculerait dans le vide. Il arrache des feuilles et des grappes à la vigne sauvage. Il brise des sarments, se remplit la bouche de ces grains, de ces tiges, de ces fibres.
Il regarde la falaise tomber, lisse, à l’aplomb du camp romain.
Il suffirait de pouvoir glisser une nuit le long de la paroi rocheuse. On surprendrait ainsi ces soldats qui ripaillent et ronflent dans leurs tentes, qu’aucune sentinelle, qu’aucun poste de guet ne garde.
Spartacus commence à tresser les fibres qu’il ne peut avaler. Peu à peu il voit naître entre ses doigts une corde.
Il se retourne, allongé sur le dos, et son regard se perd parmi les pentes couvertes d’une vigne sauvage si dense que sarments et feuillages masquent la terre couleur de cendre.
Spartacus se lève, entre dans les cahutes. Il réveille, houspille les hommes aux regards voilés par l’inaction, la faim et la soif.
— Ces sarments ! crie-t-il. Tous les sarments ! Qu’on les arrache, les tranche, les porte au centre du plateau !
Il suffit d’un jour pour que les sarments s’entassent. Spartacus saisit l’un d’eux, le mord, arrache les fibres, s’apprête à les tresser, à les nouer, quand Vindex le Phrygien lance un cri.
On le rejoint au bord du plateau.
Au bas des falaises, au milieu du camp romain, une croix a été dressée. On distingue la silhouette d’un homme dont la tête tombe sur l’épaule gauche. Son corps est couvert de sang. Des oiseaux volettent autour de son visage.
— Genua le Ligure ! s’écrie Crixos.
Tous restent un long moment immobiles, à regarder.
Puis Spartacus se détourne, s’éloigne, et tous le suivent.
25
Spartacus lève la tête.
La lune n’est plus qu’un tesson de poterie que les nuages ternissent et font peu à peu disparaître.
Il se penche au-dessus du vide, cet abîme noir au fond duquel meurent les braises des foyers que les Romains, chaque nuit, laissent s’éteindre.
— Maintenant ! dit le Thrace.
Derrière lui, les gladiateurs sont nus et gris, le corps enduit de cette terre cendreuse qui couvre le plateau.
Ils tiennent dans leurs bras les longues cordes qu’ils ont tressées avec les fibres des sarments.
Voilà plusieurs jours qu’ils les tordent, les nouent, éprouvent leur résistance. Ils se sont souvent interrompus, rejetant au loin les sarments dont ils devaient arracher les fibres.
« Ce n’est pas là combat de gladiateur ! » protestaient-ils.
Crixos le Gaulois s’est approché plusieurs fois de Spartacus, secouant sa grosse tête dont les cheveux hirsutes masquent le front et les joues.
— Nous nous briserons les os, a-t-il objecté. Ils n’auront plus qu’à nous égorger.
— Je descendrai le premier, s’est borné à répondre Spartacus.
C’est maintenant, par cette nuit sans lune.
On jette les cordes.
Elles se balancent le long de la falaise qui surplombe l’arrière du camp romain que personne ne garde.
Quel préteur peut imaginer que des hommes glisseront, nus, leur poignard serré entre les dents, et qu’ils se rueront sur les légionnaires endormis après leurs ripailles ?
— Je te suis, dit Crixos.
Œnomaus le Germain descendra le dernier après avoir jeté les lances et les javelots.
Apollonia se place entre Spartacus et Crixos. Elle est nue, couverte de cendre, elle aussi. Elle dit :
— Je sais tuer. Je veux tuer, moi aussi !
Seulement la rumeur du vent. Il vient de la mer, remonte les pentes du mont Vésuve, emporte les bruits : frottement des corps et des cordes contre la roche, cris étouffés d’un homme qui a heurté la falaise, choc sourd des armes qui écrasent les herbes.
Car le plateau où le préteur Claudius Glaber a fait dresser les tentes de son armée est fait de bonne terre meuble, et de nombreuses sources jaillissent entre les rochers. Un torrent coule au pied de la croix sur laquelle Genua le Ligure n’est plus qu’un corps décharné, racorni, dans lequel les
Weitere Kostenlose Bücher