Spartacus
plateau, sautant et courant le long des pentes vers cette plaine de Campanie.
Il ne s’est pas soucié de savoir si on le suivait. Mais à peine eut-il atteint les premiers vergers, les vignobles, les champs d’orge et de blé, que des hommes, des femmes et même des enfants écartaient les branches des orangers et des citronniers, des poiriers et des pommiers, se faufilaient entre les ceps, couraient dans les épis et marchaient à ses côtés sur le bord du chemin.
Il y avait des bergers et des bouviers qui disaient avoir abandonné leurs troupeaux pour rejoindre l’armée des hommes libres, celle qui avait – tout le monde l’avait appris en Campanie en voyant les Romains s’enfuir en désordre avec la peur aux yeux, vers Nola et Capoue – vaincu l’armée du préteur.
Et les bergers et les bouviers de dire, en brandissant des pieux acérés, qu’ils savaient se battre, qu’ils chassaient les meutes de loups, qu’ils repoussaient les brigands. Certains d’entre eux étaient d’anciens légionnaires, oui, des hommes libres, des citoyens romains, mais que la misère et la faim enchaînaient à l’instar d’esclaves.
Ils ajoutaient que la défaite de l’armée du préteur Claudius Glaber était le signe que les dieux accordaient protection aux esclaves et aux pauvres pour qu’ils se rassemblent, partagent entre eux les richesses, celles des champs et des vergers, des villas regorgeant de victuailles.
Le blé et l’orge s’entassaient dans les greniers, les figues séchaient par milliers sur les claies, le vin débordait des amphores et des tonneaux. La richesse était partout, il suffisait de décider de s’en emparer, de la répartir entre les hommes qui, chaque jour, labouraient les champs, taillaient les arbres et les sarments, moissonnaient, cueillaient les fruits et pressaient les grappes, et auxquels on donnait comme à des chiens une écuelle de grain mal cuit, des fruits pourris.
Et celui qui relevait la tête, dont les maîtres, les régisseurs, lisaient la révolte dans les yeux, on lui déchirait le corps à grands coups de lanière, ou bien on le jetait vivant dans une porcherie ou un chenil où les porcs et les chiens se révélaient plus affamés, plus enragés que des fauves.
Spartacus les avait écoutés sans répondre, et ils avaient cessé de lui parler, le laissant seul.
Après quelques pas, il s’était retourné et avait vu ces pauvres, ces femmes, ces enfants se mêler aux gladiateurs et aux esclaves de Capoue qui l’avaient donc suivi, quittant à sa suite le camp romain, descendant les pentes du Vésuve. Au premier rang de cette troupe marchaient Crixos le Gaulois, Œnomaus le Germain, Vindex le Phrygien, Jaïr et Apollonia.
Spartacus avait baissé la tête et souri.
Plus tard, il avait vu venir à sa rencontre une cinquantaine d’hommes armés de tridents et de filets, de glaives courts et de poignards.
Il ne s’était pas arrêté, les forçant à s’écarter et à marcher à ses côtés. Ils lui dirent qu’ils étaient des gladiateurs du ludus de Nola et du ludus de Cumes et qu’ils s’étaient enfuis pour les rejoindre, lui, Spartacus, et les gladiateurs du laniste Lentulus Balatius. Même à Cumes, port situé de l’autre côté de la baie, pourtant éloigné du Vésuve, ils avaient appris qu’une armée de trois mille milites romains avait été défaite par des esclaves et des gladiateurs en fuite. Le préteur Glaber avait été crucifié, des centaines de fantassins égorgés. Les esclaves vainqueurs disposaient donc des armes, des tuniques, des boucliers de cette armée romaine. Ils s’étaient emparés des enseignes et avaient brisé à grands coups de glaive les ailes de l’aigle romaine.
D’un mouvement de tête, Spartacus leur avait montré l’emblème qu’un esclave de la troupe trainait.
Puis il avait hâté le pas pour rester à nouveau seul, laissant ces gladiateurs s’amalgamer à la troupe.
Et, quand le Thrace se retournait, il découvrait ce long cortège confus qui grossissait à chaque instant, dont souvent des hommes et des femmes s’échappaient pour s’enlacer au bord du chemin, se chevaucher cependant que d’autres cassaient une branche d’arbre pour cueillir un fruit qu’il rejetait après avoir à peine mordu dedans.
Jaïr le Juif s’est placé à la droite de Spartacus ; ils marchent épaule contre épaule.
— Ce pourrait être une armée, remarque Jaïr.
Ces bouviers, ces bergers, ces
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