Spartacus
feux que les esclaves révoltés allument dans la plaine ont le corps et la posture des puissants.
L’un d’eux est le préteur Publius Varinius.
Debout, bras croisés, sa cuirasse sculptée moulant son torse, il se tient à trois pas devant les autres, au bord du rempart de l’acropole de Cumes qui domine tout le paysage de l’embouchure et du cours du Vultume, au nord, jusqu’au mont Vésuve, au sud.
Parfois le préteur lève la tête. Il suit le vol de ces oiseaux qui, venus de la mer, des îles où ils nichent, s’enfoncent dans les terres pour aller, de leurs becs jaune et noir, lacérer les cadavres des citoyens romains que la horde de bêtes sauvages – ces bouviers, ces bergers, ces gladiateurs en fuite, tous ces animaux infâmes, cette tourbe d’esclaves barbares – a massacrés. Et, parmi les morts, Claudius Glaber, préteur de la République, dont on a retrouvé le corps crucifié parmi ce qu’il restait du camp de son armée, dévasté, jonché de centaines de soldats égorgés dans leur sommeil.
Varinius tend le bras et, d’un geste lent, parcourt tout l’horizon entre les villes de Capoue et de Nola qui ressemblent à un amoncellement de cubes que rosit la lumière du crépuscule. Entre elles, les flammes ne forment plus qu’un immense brasier, comme si tous les foyers s’étaient rejoints en un instant. Les fumées peu à peu envahissent le ciel, précédant et annonçant la nuit.
— Ils brûlent les champs d’orge et de blé, constate Publius Varinius.
Il se retourne.
— Il faut crever le ventre de tous ces rats !
Il a un mouvement d’impatience, rejetant en arrière les pans de sa cape.
— On les a laissés proliférer, maugrée-t-il. Les rats ont une portée d’une dizaine, d’une vingtaine de rejetons, ils mettent bas jour après jour. Les esclaves sont de la même espèce. Quand on laisse vivre un fuyard, c’est toute une foule qui se rassemble autour de lui, et, si on ne l’écrase pas, elle enfle encore. Qui ne se souvient des guerres serviles de Sicile ? Il a fallu tuer un million d’esclaves pour que les lois de Rome, que l’ordre de la République puissent à nouveau régenter l’île, et que le blé soit à nouveau récolté.
Il s’interrompt, reprend son souffle.
— Rome a besoin de grain ; la plèbe, de pain.
Nous n’allons pas laisser ces rats défier la République.
Il frappe du talon.
— Nous sommes ici pour en finir.
Il donne des ordres tout en marchant le long des remparts, tantôt regardant vers la mer dont les vagues courtes viennent battre les quais, les murailles du port et de la forteresse de Cumes, tantôt le visage tourné vers la plaine que la nuit engloutit mais où rougeoient, encore plus vifs, les incendies.
Il veut, dit-il, que le légat Furius prenne demain à l’aube la tête d’une armée de deux mille hommes, et qu’ils attaquent et dispersent ces rats.
Furius sort du groupe.
C’est un homme jeune au corps encore un peu frêle. Il s’incline, s’éloigne, et, peu après, on entend sa voix qui, dans la nuit, s’élève du pied des remparts où s’est établi, hors de la ville fortifiée, le camp romain. Les trompettes sonnent pour le rassemblement des centurions qui devront préparer la marche sur Nola et Capoue.
— Je veux qu’on nettoie la plaine, reprend Publius Varinius.
Il charge le préteur Martial Cossinius de suivre avec un millier d’hommes, demain, à la tombée de la nuit, les centuries de Furius, et de saisir tous ceux qui auraient échappé au légat.
— Je veux que la plaine tout entière soit une nasse, une fosse pour les esclaves. Qu’on les traque et qu’on s’empare de tous ceux qui ne sont pas partis avec leurs maîtres. Que tous les yeux qui ont vu la révolte soient crevés ! Que toutes les langues qui pourraient la raconter soient arrachées !
Le préteur Martial Cossinius, un homme corpulent aux doigts bagués, s’ébaubit.
— Il suffit de leur trancher la gorge, dit-il. Tu veux quoi, au juste, Varinius : qu’on les tue comme des rats, ou bien…
Publius Varinius l’interrompt, lui prend le bras et l’entraîne dans ses allers et retours le long des remparts.
— Il faut en laisser vivre quelques-uns, répond-il, mais avec les yeux morts, les mains coupées, la langue tranchée. Leurs corps mutilés, Cossinius, resteront le seul souvenir de la révolte.
Il montre l’incendie qui illumine l’horizon, les villes de Nola et de Capoue maintenant
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