Spartacus
marché aux esclaves, Spartacus doit avoir pour lui sa prestance, sa force et sa haute taille. En revanche, le fait qu’il soit un guerrier vaincu ne constitue pas un avantage aux yeux des clients éventuels. Un cuisinier, un maître d’école, un danseur, un vigneron ou un cordonnier sont bien plus intéressants. Leur métier leur confère une plus-value qui les fait parfois s’arracher pour des milliers de sesterces. On ne compte pas les cas où des acheteurs heureux ont réalisé de véritables fortunes grâce aux compétences de tel ou tel esclave acquis à bas prix sur le marché. Un soldat vaincu ne revêt pas ce genre d’avantage aux yeux des propriétaires d’esclaves. Habitués au métier des armes, ils ne savent généralement rien faire d’autre. Plus grave, ils constituent un risque permanent de révolte et un danger pour la vie du maître et de sa famille. Aussi, le sort de tels esclaves au physique souvent athlétique demeure le plus souvent les mines et les carrières. Dans ces enfers dantesques, ils attendent la mort comme une libération. Diodore, géographe grec contemporain de Spartacus, donne une idée du sort de ces esclaves des mines. « Ceux qui dirigent les travaux de ces mines emploient un très grand nombre d’ouvriers, qui tous sont ou des criminels condamnés, ou des prisonniers de guerre et même des hommes poursuivis pour de fausses accusations et incarcérés par animosité […]. Ces malheureux, tous enchaînés, travaillent jour et nuit sans relâche, privés de tout espoir de fuir, sous la surveillance de soldats étrangers parlant des langues différentes de l’idiome du pays afin qu’ils ne puissent être gagnés ni par des promesses ni par des prières […]. Ils travaillent ainsi sans relâche sous les yeux d’un surveillant cruel qui les accable de coups […]. Tout le monde est saisi de commisération à l’aspect de ces malheureux qui se livrent à ces travaux pénibles, sans avoir autour du corps la moindre étoffe qui cache leur nudité. On ne fait grâce ni à l’infirme, ni à l’estropié, ni au vieillard débile, ni à la femme malade. On les force tous au travail à coups redoublés, jusqu’à ce qu’épuisés de fatigue ils expirent à la peine. C’est pourquoi ces infortunés, ployant sous les maux du présent, sans espérance de l’avenir, attendent avec joie la mort, qui leur est préférable à la vie 23 . » Spartacus aurait très bien pu connaître ce sort, mais l’avenir lui réserve un autre destin.
La gladiature, le destin des fortes têtes
Il demeure un domaine où les compétences professionnelles des soldats vaincus peuvent être mises à profit : la gladiature. D’après Plutarque, « un certain Lentulus Batiatus entretenait à Capoue des gladiateurs, la plupart gaulois et thraces ». C’est sans doute en recherchant de nouveaux pensionnaires pour son école que Lentulus repère ce Thrace athlétique. Lentulus est ce que l’on appelle un laniste (le terme vient de leno , « le boucher »). Ce marchand avisé fait effectivement commerce de gladiateurs, mais sa tâche est plus complexe qu’on ne le croit. Ce n’est pas tout de recruter des colosses ; certains s’enfuient au premier combat alors que des gaillards plus petits mais à l’âme bien trempée deviennent de véritables bêtes de combat. Il lui faut des hommes solides mais avec assez de jugement, voire de vice, pour comprendre que leur survie est conditionnée à l’intelligence qu’ils mettront à combattre. C’est ce que le public demande de plus en plus, surtout en Campanie, le berceau de la gladiature en Italie. Il faut des hommes qui tuent et meurent, mais si possible avec de l’élégance et de la technique. Pour la technique, Lentulus possède d’anciens gladiateurs qui apprennent à ses pensionnaires toutes les astuces qui peuvent leur permettre de survivre. Ensuite, Lentulus, en habile negociator , joue un rôle proche de celui d’imprésario. Il devra convaincre de riches notables de lui acheter ou de lui louer les hommes qu’il entraîne dans son école. Ils seront ensuite offerts à la foule dans des combats à mort qui assureront la popularité de l’éditeur et la richesse du laniste. Justement, Spartacus a probablement toutes les qualités, il est fort et doit certainement avoir un regard où transparaissent certaines des vertus dont le parent les historiens. Après avoir convenu du prix avec le propriétaire, Lentulus Batiatus emporte donc
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