Spartacus
probable que de telles explications musclées ont déjà eu lieu précédemment avec les Gaulois, avec les conséquences que l’on sait. Selon Plutarque, cette volonté d’en découdre des rebelles constitue une grave erreur ; l’ultime volte-face d’esclaves déboussolés rend un grand service à Crassus, qui vient de recevoir des nouvelles inquiétantes de Rome : « On annonçait déjà l’arrivée de Pompée et, dans les assemblées tenues en vue des élections, il ne manquait pas de gens pour dire que la victoire lui était réservée et qu’à peine arrivé, il livrerait bataille et mettrait fin à la guerre. »
L’ombre de Pompée
Le fait que Pompée approche signifie que le Sénat lui a donné l’autorisation d’entrer en Italie avec ses troupes. A ce moment, le vainqueur de la guerre de Sertorius doit encore être en Ombrie ou en Campanie, mais il se hâte de marcher vers le sud. Cette décision du Sénat a dû être prise après de longs débats entre partisans de Crassus et de Pompée, avant que l’empoignade n’aille sur le Forum et de là n’atteigne les comices. Dans ces assemblées électorales, le peuple, ou du moins sa portion influente, décide encore en partie du destin de Rome. Là aussi les avis sont partagés suivant les clientèles de l’un ou de l’autre. Les unes veulent laisser à Crassus le temps de l’emporter seul et les autres désirent voir Pompée finir en un éclair cette guerre déjà trop longue. Même si Crassus a quitté Rome voici seulement six mois, les mauvaises langues ne manquent pas pour gloser sur son attentisme et raconter comment Spartacus a pu franchir en une nuit les « formidables fortifications » du Bruttium. Ils sont nombreux ceux qui commentent cette lettre envoyée par Crassus ce jour-là. Une lettre dans laquelle un Crassus affolé appelle lui-même Pompée au secours. A présent il n’est plus temps de finasser avec des amateurs, il faut en finir avec un vrai général qui commande à d’authentiques légionnaires. Voilà ce que disent les clients du grand Pompée et ce dernier ne manque pas de partisans à Rome, surtout depuis que leur champion est revenu en Italie avec ses légions. Ils parlent plus haut et plus fort que les amis de Crassus et finissent par emporter l’opinion avec eux. Entre les deux partis, il y a tous ceux qui se souviennent des jours sombres, encore très proches, de la guerre entre Marius et Sylla. Tous ceux qui se remémorent les proscriptions et la dictature. Crassus et Pompée à la tête de leurs armées respectives ne vont-ils pas faire renaître ces heures affreuses ? Faut-il les dresser l’un contre l’autre ? Favoriser l’affable Crassus contre l’orgueilleux Pompée ? Les sénateurs les plus politiques sont perplexes, mais les partisans de Pompée l’ont emporté. Ses légions marchent aujourd’hui contre Spartacus et demain, sans doute, sur Rome.
En Lucanie, Crassus et Spartacus sont à présent disposés pour une bataille déterminante. Dans la biographie qu’il consacre à Pompée, Plutarque souligne bien que Crassus s’engage dans cet affrontement pour des raisons politiques : « Ainsi Crassus, pressé de combattre, alla-t-il camper près des ennemis. » Le préteur joue son va-tout car l’arrivée de Pompée à ses côtés ferait oublier tous ses efforts passés. Toute la gloire de ses victoires sur les esclaves reviendrait alors au jeune imperator . Il ajoutera ce succès à une couronne de lauriers déjà bien fournie tout en renvoyant Crassus à un destin obscur. Spartacus veut lui aussi en finir. Pour le chef contesté des esclaves la situation est bien différente. Il ne dirige plus grand-chose dans cette armée désemparée ; malgré ses efforts, il n’est pas parvenu à sauver les Gaulois et à présent ses propres hommes ne lui obéissent plus. Le guerrier thrace a prouvé par le passé qu’il pouvait avoir une vision générale du conflit et faire de bons choix tactiques. Il sait parfaitement que Crassus est en position de force : même s’il parvient à le vaincre, l’armée des esclaves sera trop faible pour espérer quoi que ce soit contre Pompée qui s’approche. Spartacus est conscient de la situation désespérée dans laquelle il se trouve ; il se résigne probablement au sort qui l’attend. Remontant vers le nord, l’armée des esclaves ne tarde pas à rencontrer l’armée adverse.
La bataille décisive
Malgré sa hâte d’en finir, Crassus continue à
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