Spartacus
être prudent vis-à-vis de l’armée, encore redoutable, de Spartacus. Chaque soir, il ne manque pas de faire construire scrupuleusement les camps qui doivent le prémunir contre toute surprise. Plutarque rapporte que l’incident qui déclenche la bataille finale éclate pendant ces travaux de protection : « Il [Crassus] fit creuser un fossé contre lequel les esclaves se précipitèrent en attaquant les travailleurs. Comme on accourait à la rescousse des deux côtés en nombre toujours croissant, Spartacus se vit contraint de mettre en ligne son armée entière. » Les généraux de l’Antiquité prennent le plus souvent grand soin à déterminer le champ de bataille où se joue le sort d’une guerre ; il n’est pas rare que les armées s’observent pendant plusieurs jours avant d’en venir aux mains. Ces calculs stratégiques jouent sur les nerfs des hommes de troupe, qui brûlent d’en découdre pour faire baisser la tension psychologique qui monte chaque jour ; c’est certainement ce qui s’est passé ici. Une fois encore, on peut constater que Spartacus n’a même plus l’autorité nécessaire pour imposer le lieu et l’heure du choc final ; les actions de harcèlement ayant dégénéré en un véritable combat, il doit mettre son armée en ordre de bataille. Cet ultime engagement n’a rien de brouillon ; il constitue l’une des grandes batailles livrées par les armées de Rome. Crassus aligne dix légions. Même si ses unités ne sont plus à effectifs complets du fait des précédents affrontements, ces dix grandes unités doivent encore regrouper environ 50 000 légionnaires. Sur les ailes, un nombre équivalent d’alliés protègent les flancs des légions avec des unités de cavalerie et de l’infanterie plus légère. Au centre du dispositif, les légions sont réparties en une centaine de cohortes comptant près de 500 hommes chacune. Chaque cohorte est organisée sur six rangs de profondeur, avec les 80 légionnaires de chaque centurie sur chaque ligne, et constitue ainsi un rectangle vivant de plus de 100 mètres de long sur 10 de large. Toutes ces cohortes sont disposées en quinconce pour pouvoir manœuvrer facilement. Semblable aux pièces d’un gigantesque jeu d’échecs, chacune de ces unités alterne les vides et les pleins sur un immense champ de bataille. Cette organisation impressionnante est parfaitement mise en scène par Stanley Kubrick lors de l’alignement des légions avant la bataille finale. Ainsi disposée, chaque légion occupe une superficie de 2 hectares. L’ensemble des légions de Crassus couvrent donc près de 20 hectares une fois déployées. Si l’on tient compte du fait que les alliés de Rome occupent une surface équivalente, il faut imaginer une immense armée en train de manœuvrer ; les déplacements sont parfaitement coordonnés et chaque soldat suit des yeux l’étendard de son unité tout en étant attentif aux sonneries du cornicen . L’espace occupé par l’armée de Crassus équivaut alors à 80 terrains de football ; suivant la profondeur qu’il aura choisie pour son dispositif, le préteur doit aligner ses hommes sur un front continu s’étirant sur au moins 3 kilomètres.
Jamais les esclaves révoltés n’ont contemplé un tel spectacle : sous les étendards et les aigles de Crassus, des milliers d’hommes bien dressés par six mois de campagne sont à présent parfaitement alignés. Cette masse humaine ondule comme un champ de blé sous le souffle d’un vent léger. Elle mugit au son des trompes et des cris de guerre comme un gigantesque animal. Spartacus a lui aussi rangé ses hommes en ordre de bataille ; ses soldats sont regroupés par unités bien structurées. Les officiers de Spartacus, gladiateurs fugitifs ou anciens soldats déserteurs, ont doté son armée d’une organisation calquée sur celle des Romains. Les cohortes des esclaves rebelles s’alignent elles aussi, mais elles sont moins nombreuses que celles de Crassus. Avec l’écrasement de l’armée gauloise, Spartacus se trouve en nette infériorité, peut-être à un contre deux. Les effectifs donnés par les historiens varient assez peu. Un siècle après les faits, l’historien et ancien général Velleius Paterculus estime que, « dans le dernier combat qu’ils livrèrent, ils opposèrent à l’armée romaine quarante mille huit cents hommes 100 ». Ce chiffre, par sa précision, pourrait bien correspondre à des données officielles
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